La 14e session ordinaire des chefs d’Etat membres de l’Union africaine (UA) qui s’est tenue à Addis-Abeba du 31 janvier au 2 février 2010 n’a pas échappé à sa tradition. Alors que le thème principal annoncé en fanfare était les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), ce sont les énièmes conciliabules de dernières minutes qui prennent le dessus dans l’actualité. Il s’agit d’une perte de temps importante pour l’organisation alors que ce ne sont pas les sujets qui manquaient.
1. Diplomatie libyenne neutralisée, Kadhafi « encadré »
Le choix, pourtant « organisé » du transfert de pouvoir entre le Président en exercice sortant vers le Président entrant, s’est transformé en un évènement majeur avec des gagnants et un perdant. Les tractations et arrangements secrets n’ont eu d’égale que la transparence des « huis clos » des dirigeants africains. Certains ont même brandi la menace d’un vote pour choisir le nouveau Président pour un mandat d’un an. Le paradoxe du mode décisionnel fondé sur le consensus de l’Union africaine est que l’on ne vote pas en premier ressort mais bien en dernier ressort. Imaginez le temps consacré aux conciliabules précédés de palabres interminables du fait d’une certaine indiscipline que certains s’évertuent à désigner comme de la “politique”. L’efficacité en référence aux retards pris dans la mise en œuvre des décisions et les décisions fondées sur le choix du plus petit dénominateur commun deviennent progressivement le droit commun et non l’exception au sein de l’UA. En conséquence, la notion d’efficacité au service des populations africaines semble progressivement être remplacée par le besoin de résultat tel que préconisé par un consensus minimaliste. Sur les dossiers économiques, cela empêche des arbitrages tranchés alors que sur les dossiers politiques, cela marginalise les options audacieuses tout en renforçant l’ingérence de l’institution sous-régionale sur la souveraineté nationale. Paradoxalement, une majorité de dirigeants africains ne sont pas prêts à modifier cette règle, tant elle permet des « arrangements » des plus saugrenus et parfois particulièrement « rentables ». Mais la contrepartie est le silence et l’autocensure[i] des dirigeants africains.
Sans s’être officiellement déclaré tout en ayant recherché activement à obtenir une rallonge sous la forme d’un second mandat d’un an à la tête de l’UA avant de marquer un “désintérêt” une fois sa demande rejetée par ses pairs, le Guide Libyen Mouammar Kadhafi avait pourtant mis sa diplomatie en branle, avec les influences géostratégiques et les dépendances financières adjacentes. Il aurait fallu que la région d’Afrique australe, à laquelle revenait, en vertu des textes de l’Union, la présidence tournante, désiste et que la santé du Président nigérian ne se traduise pas par un manque de combativité des officiels nigérians pour défendre le chef de l’exécutif libyen. Non seulement l’Afrique australe sous l’impulsion du Président Jacob Zuma ne se désista pas, mais elle confirma la candidature du Malawi, le Président Bingu wa Matharika, et refusa le principe d’exception aux procédures en vigueur. Aussi, la diplomatie libyenne aux géométries variables n’a pas réussi à renouveler l’exception jurisprudentielle du Président Obasanjo lequel se fit reconduire en 2006 afin de « barrer » l’accession du Président soudanais El Beshir à la tête de l’UA alors que c’était le tour de l’Afrique de l’Est.
En guise d’explications, le Guide libyen a rappelé qu’il n’a pas pu mettre en œuvre ses projets, notamment la réforme de l’UA en autorité africaine et, qu’au plan pratique, de nombreuses décisions semblent avoir été prises par la Commission de l’Union africaine (CUA) sans son aval. Il déclara : « Des décisions ont été prises cette année par la commission sans que le président de l’Union ne soit au courant[ii] ». Cette attaque en règle contre Dr. Jean Ping, le Président de la CUA, est un euphémisme évoquant la théorie du complot. Il semble que la notion de séparation des pouvoirs devrait être reprécisée afin de limiter la propension de la plupart des dirigeants africains à régler tous les problèmes par la politique. Toutefois, si les règles institutionnelles ont été bafouées, des corrections s’imposent.
En réalité, le Guide libyen devrait s’en prendre à son propre système et à sa diplomatie. Il y a bien une séparation des pouvoirs qui fonctionne au niveau de la Commission et qui fait fi des « ingérences » politiques des chefs d’Etat. Aussi, sur de nombreux points, les décisions prises sans l’avis du Président en exercice de l’UA sont en conformité avec les règles en vigueur. Par contre, il semble que sur la liste des décisions prises où, effectivement, le Président en exercice aurait dû emporter la décision, un certain nombre de cas ont été reconnus et devront être régularisés. C’est aussi, semble-t-il, à cette condition que le Guide Libyen a accepté que son homologue malawite prenne le relais à la tête de l’UA pour un an.
Si les chefs d’Etat étaient passés au vote, la Libye aurait certainement été mise en minorité car l’unité contre le Guide libyen était plus importante que l’unité pour le défendre malgré les liens d’argent ou ceux de la CEN-SAD[iii], la structure sous-régionale transversale créée en principe pour faire avancer les idées fédérales du Guide libyen et une certaine structuration de l’influence libyenne. Pourtant, si les autorités libyennes avaient consacré autant d’efforts à financer et mettre en œuvre plus de projets concrets d’appui direct aux populations africaines au lieu d’assurer le rôle d’intermédiaire dans les charters de retour d’immigrés africains pour le compte de l’Europe, peut-être que les défections à leur endroit auraient été moins importantes.
Il n’empêche que la puissance financière du Guide libyen risque de ne plus s’investir automatiquement dans certains projets de l’UA, ce qui ne veut pas dire qu’il ne s’investira pas dans des projets au service des Africains, notamment en s’appuyant sur les chefs et rois traditionnels, puisqu’il conserve le titre de « rois des rois traditionnels d’Afrique ». A ce titre d’ailleurs, il convient de bien distinguer entre la société civile indépendante et celle, instrumentalisée, que l’on retrouve régulièrement en Libye et s’autoproclamant représentant l’ensemble de la société civile africaine. Rappelons toutefois que la délégation libyenne de plus de 300 personnes a quitté dès le 1er février 2010 la conférence (un jour avant la fin), ce qui a fait dire à certains que la Conférence a dès lors pu travailler plus sereinement.
2. UA : lutte d’influence, constats et compromis minimalistes ?
Quid du bilan du Guide Libyen qui semble relativement maigre quelles qu’en soient les raisons au point qu’il déclara : « Si j’avais su l’année dernière ce qu’était cette fonction de président de l’Union africaine, j’aurais refusé[iv] ». Tout ceci témoigne d’une défaillance dans le système d’anticipation et d’information libyen sur les règles et fonctionnement effectifs de l’UA. L’importance que l’Afrique accorde à la personne du Guide libyen et à ses pétrodollars semble être inversement proportionnelle à l’importance qu’accorde en réalité le Guide libyen à l’UA. En lâchant cette phrase sur l’importance du poste de Président en exercice de l’UA , le Guide libyen témoigne d’une vraie désillusion : « Cette position de Président de l’Union africaine n’a pas beaucoup de sens à l’heure actuelle ». Il s’agit pourtant d’une forme de « démocratie directe » des chefs d’Etat africains qui prennent leur distance avec des approches libyennes en marge de la légalité en invoquant le respect des règles de rotation régionale.
Sur le fond et après avoir cédé sur sa tentative d’avoir un second mandat, le Guide libyen, quelque peu irrité a convoqué une conférence de presse à minuit pour livrer sa pensée profonde et son jugement sur l’Union africaine qu’il a considéré comme une “institution faillie” car l’UA n’a toujours pas d’ambition pour “créer les institutions permettant de réaliser l’unité de l’Afrique”. Il rappelle qu’“il ne voit aucun résultat concret et tangible”. Il rajoute que : “les élites politiques du continent manquent cruellement de conscience et de détermination politiques”. Désabusé, il rappela que “s’il avait su le peu de pouvoir dont dispose la présidence tournante de l’UA, il aurait refusé de prendre cette fonction”. En guise d’exemple, le conseil de sécurité et de paix de l’UA, copie non conforme de celui des Nations-Unies, fonctionne principalement sans faire appel au veto, ce qui de fait donne plus de pouvoir à la commission de l’UA. C’est justement cela que reproche le leader libyen à la Commission (d’avoir pris des décisions sans l’avoir consulté).
Enfin, il n’oublie pas d’apostropher les pays occidentaux et leurs courroies de transmission en Afrique en rappelant que “l’Europe ne s’est pas développée avec des résolutions et des déclarations mais bien avec l’utilisation judicieuse et productive des matières premières africaines dont le bois, la viande, le poisson”. Bref, pour lui, les pays qui se sont industrialisés sont des pays qui n’ont fait que prendre des actions. Il appelle “tous les chefs d’Etat africains à prendre des actions, des actions et encore des actions”. Le nouveau Président en exercice Bingu wa Mutharika a fait remarquer qu’il “partageait certaines critiques de son prédécesseur”[v]. Faut-il rappeler que la Libye figure parmi les cinq plus gros contributeurs de l’UA qui totalisent 75 % du budget. Si la Libye venait à retarder, conditionner ou simplement ne plus payer sa contribution à l’UA, sa capacité de nuisance peut s’avérer extrêmement dommageable pour la cause qu’elle a elle-même défendu depuis des années sans jamais réussir à maîtriser les ressorts de l’opérationnalité, ni la bonne utilisation des expertises africaines, y compris celles de la Diaspora.
C’est la Libye qui devrait accueillir les sommets Afro-Arabe et Afrique-Union européenne en 2010 et en 2011, celui d’Afrique-Amérique Latine, tous à Tripoli. En guise d’“ersatz”, le Président libyen a annoncé qu’il se préparait à prendre la présidence de la ligue Arabe. Finalement, ce sont peut-être les titres (Roi des rois traditionnels, Président, Guide de la Révolution) qui semblent prendre le dessus sur la réalité du bilan de son année passée à la tête de l’UA malgré les contraintes et blocages presque instrumentalisés. A ce petit jeu, le peuple africain peut se demander si l’Afrique avance vers l’unité des peuples [vi]. Les chefs d’Etat africains ont-ils discrètement renoncé au projet d’“Etats-Unis d’Afrique” avec le départ précipité de la délégation libyenne et de son chef ? Certainement pas ! Mais les modalités et le calendrier de mise en œuvre ne semblent plus présenter une urgence, d’autant que le budget provenant de Libye risque d’être négocié chèrement. Le concept pourrait même à terme se fondre dans l’oubli si l’on n’y prend garde au demeurant comme celui de la “renaissance africaine”. Cette lecture diplomatique du NON africain relève parfois d’une subtilité déconcertante. Certains s’y sont habitués.
Ancien patron de la communauté de développement des Etats d’Afrique australe (SADC) avant de présider aux destinées de son pays le Malawi, Bingu wa Mutharika a en fait été choisi sur une base consensuelle et non par un vote par ses pairs. L’homme de 76 ans doit néanmoins surtout son élection au soutien des pays d’Afrique australe. Le nouveau Président de l’Union s’est donné comme priorité des priorités : “l’autosuffisance alimentaire” et devrait favoriser l’agriculture dans ses arbitrages futurs. Il a tenu compte des critiques de son prédécesseur en rappelant qu’il faut aller au-delà des décisions, résolutions et déclarations et commencer à agir pour le développement de l’Afrique. Son premier dossier chaud reste Madagascar avec une volonté d’imposer des sanctions pour le non respect des principes et normes démocratiques. Mais il n’y a aucune condamnation exécutoire puisque l’UA croit fermement à la “pression des pairs[vii]“ même s’il s’agit d’une ingérence collective dans les affaires d’un pays. Il restera alors au groupe d’influence sous la conduite de l’ex-président mozambicain Joachim Chissano, mandaté par la SADC (communauté de développement des Etats de l’Afrique australe), de relancer le dialogue avec les dirigeants malgaches actuels. Les menaces pourraient tout simplement envenimer la situation surtout si l’armée malgache n’abat pas ses cartes clairement.
L’Union africaine est-elle contrainte à constater les nouvelles formes “démocrafricaines[viii]“ que prennent ceux qui sont au pouvoir en Afrique vis-à-vis des principes démocratiques universels ? Entre Madagascar, le Niger, la Guinée, le Soudan ou le Togo pour ne prendre que ces exemples, l’UA semble de plus en plus privilégier et accepter la formalisation de la démocratie surtout si cela conduit à préserver la paix civile sous les fourches caudines d’une armée imposant discrètement ses conditions sans vouloir nécessairement apparaître au grand jour, sauf lorsque son éviction du pouvoir et des rentes économiques sont menacées. En réalité, il y a deux poids, deux mesures selon que l’on est ou pas “adoubé” par le cercle fermé de ce qu’il convient d’appeler le “syndicat” des chefs d’Etat africains. Aussi, le principe de prise de décision de l’Union africaine fondé quasi-exclusivement sur le principe du consensus devrait considérablement retarder la vitesse de mise en œuvre des “actions” que se propose de prendre le nouveau Président en exercice. L’UA semble perdre de plus en plus son caractère d’entité de proposition et d’audace pour devenir une entité de constats et de compromis minimalistes. Au plan des élections présidentielles en Afrique, cela légitime les “statu quo” à moins que le “syndicat” des chefs d’Etat n’y voie que des inconvénients, parfois sur injonctions venues d’ailleurs.
En réalité, les objectifs affichés du Guide ne sont souvent pas en adéquation avec les actes notamment lorsqu’il s’agit d’immigration où des charters libyens semblent remplacer ceux des pays de l’Union européenne, notamment ceux ayant la Méditerranée en partage.
3. Plus de travail sérieux que cela n’y paraît
Contrairement à ce qui se dit, la Commission de l’Union africaine, lorsqu’elle reçoit les instructions des chefs d’Etat, prépare soigneusement les dossiers, ce qui devrait faciliter les décisions. C’est ainsi qu’il convient de rappeler au moins les onze sujets suivants : Haïti, les Nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), l’approbation du budget 2010, la nomination des nouveaux membres du conseil de paix et de sécurité, le point sur la situation sécuritaire et des conflits en Afrique (notamment la paix en Somalie, Soudan, Madagascar, Guinée, et les élections en Afrique en 2010, etc.), les Nations-Unies et certains chefs d’Etat africains notamment la demande aux casques bleus de quitter leur territoire car ne comprenant plus à quoi sert le mandat des casques bleus au Tchad et au Congo), la santé notamment avec des avancées sur l’alliance africaine contre la malaria, le changement climatique et notamment le suivi à la Conférence de Copenhague sur le Climat (7-18 décembre 2009) et indirectement la coupe d’Afrique, notamment le débat sur la sécurité, l’ingérence gouvernementale dans les affaires de la fédération de football, le respect des principes humanitaires et l’hommage posthume aux togolais morts pour le sport, l’attribution des prix pour l’innovation scientifique en Afrique et le nouveau drapeau de l’UA avec un fond vert, 53 Etats membres et un soleil magnifié, etc.
3. Les NTIC : Des expériences plus qu’une décision collective
La conférence portant sur les « Technologies de l’Information et de la Communication en Afrique : Défis et perspectives pour le développement » n’a pas occupé la place qui lui revenait. Rappelons que selon les statistiques disponibles[ix], 1,8 pour 100 habitants en Afrique subsaharienne possède un ordinateur personnel contre 55,5/100 en Union européenne et 80,5/100 aux Etats-Unis. Au niveau de l’utilisation de l’Internet, 4,4/100 habitants en Afrique subsaharienne peuvent y accéder contre 59,2/100 en Union européenne et 73,5/100 aux Etats-Unis. Le fossé numérique existe bien.
Toutefois les déclarations des Présidents véritablement convaincus que le développement de l’Afrique et l’accès au savoir passent par la maîtrise des NTIC ne sont pas nombreux. Il convient de citer le sénégalais Abdoulaye Wade, le Sud-Africain Jacob Zuma et le Rwandais, Paul Kagame qui sont en train, depuis bien longtemps pour certains, de structurer l’ensemble des transactions du pays autour de l’intégration par l’Internet. Les idées novatrices déjà mises en œuvre au Sénégal de « cyber-cases » s’inscrivent dans des logiques stratégiques de long-terme où l’usage de l’ordinateur, selon le Président Wade, se fera de la « maternelle à l’université » et nécessitera des nouvelles technologies dans le transfert des données comme les interconnexions par la fibre optique ou des nouvelles formes de partenariat du savoir comme la télémédecine. Mais là où le bât blesse, c’est qu’ils sont encore trop nombreux à compter sur le financement et des dons en provenance des bailleurs de fonds. Justement, en réponse aux dons en argent, l’Afrique semble s’orienter vers des options originales pour soutenir Haïti, la 6e région de l’Union africaine au titre de l’espace de la Diaspora.
4. Haïti : le tremblement de terre de trop du 12 janvier 2010
L’Afrique n’a pas trouvé nécessaire d’offrir collectivement de l’argent au peuple d’Haïti et ne peut de toutes les façons pas rivaliser avec les montants faramineux des promesses de l’Union européenne, des Etats-Unis, et des particuliers dans les pays à pouvoir d’achat. Toutefois, l’hommage du Président de la Commission de l’UA Jean Ping aux morts haïtiens, le courage des rescapés malgré les nombreux handicaps ont été rappelés dans le discours introductif. Ce tremblement de terre a rappelé que la terre africaine a toujours été une terre d’accueil. Malgré les dons “individuels” des Etats (Congo Démocratique, Guinée Equatoriale, Sénégal et bien d’autres…), c’est bien la proposition du Président Abdoulaye Wade d’offrir une terre d’accueil à des Haïtiens qui en feraient la demande qu’il convient de mettre en œuvre au plan opérationnel.
Une telle décision africaine non seulement serait justifiée, mais rappellerait le devoir de solidarité de l’Afrique vis-à-vis de la Diaspora africaine surtout lorsque les ressortissants de « Ayiti » sont des cousins qui ont été éloignés de leur terre natale, Togo, Bénin, Nigeria, etc. Trouver des espaces pour le retour d’Haïtiens, si cela devait se concrétiser, c’est aussi offrir une solution partielle à la crise palestinienne en rappelant à l’Europe ses responsabilités envers le peuple d’Israël, ce qui peut créer un début de solution dans l’arrêt de nouvelles colonisations des terres. Une mission qui pourrait revenir aux Nations-Unies. Toutefois, pour la première fois, l’ONU ne bénéficie plus d’une confiance totale des dirigeants africains.
5. Désillusion envers l’ONU et certaines de ses missions en Afrique
En marge du 14e sommet de l’UA[x], les Présidents de la République Démocratique du Congo (RDC) et du Tchad ont formellement sollicité le retrait des casques bleus, ce qui dénote une forme officielle de désaveux et de désintérêt croissant envers certaines structures de l’ONU. Depuis que les casques bleus sont dans ces deux pays, les dirigeants africains n’arrivent pas à identifier les changements réels qui sont survenus et ne sont pas convaincus que sans l’ONU la situation serait pire.
Sur insistance de la société civile et des populations africaines qui estiment qu’elles ne sont pas protégées, les deux pays considèrent que la présence des “casques bleus” n’a aucun impact sur la paix et la stabilité de ces pays. Aussi, le président congolais Joseph Kabila et le tchadien Idriss Déby ont demandé que la Mission des Nations unies en RD Congo (MONUC) et la Mission des Nations unies en Centrafrique et au Tchad (MINUCAT) quittent leur territoire dans les meilleurs délais. En réponse, le Secrétaire général adjoint des Nations unies chargé des Opérations de maintien de la paix, Alain Le Roy, estime qu’il respectera cette décision si ces troupes ne sont plus indispensables. Voici là encore les conséquences des consensus mous, mode de décision favori de l’ONU, qui conduisent cette institution à envoyer des soldats de la paix qui “assistent sans réagir à des atteintes aux droits humains” et ne peuvent réagir du fait de la limitation de leur mandat, le fameux consensus minimaliste qui conduit à des paradoxes dangereux. Il y a lieu d’ailleurs à s’interroger sur les impacts de la dépendance de l’Afrique vis-à-vis du monde extérieur, alors que de nombreux pays s’apprêtent à s’interroger sur les 50 ans d’indépendance passée.
6. Union africaine : De la dépendance à l’inter-indépendance
Transformée en 2002, l’OUA (Organisation de l’unité africaine) devenue Union africaine est composée de 53 Etats. Le Maroc a quitté la structure continentale depuis 1984 du fait de l’admission de la République Arabe sahraoui comme 51e membre de l’OUA. L’UA rencontre toujours des difficultés à transformer les repères collectifs en actions collectives quand il s’agit de projets concrets. Par contre, l’unité africaine sur les positions communes vis-à-vis de la communauté internationale a sensiblement progressé, ce d’autant que les attaques collectives contre les positions africaines sont de moins en moins tolérées tant par les dirigeants que par les populations. La peur des représailles économiques ou des embargos ne fait plus mouche. C’est la négociation qui prime. A ce titre, la révision et l’augmentation des charges contre le Président soudanais par la Cour pénale internationale (CPI) pourraient constituer une nouvelle “humiliation” pour les chefs d’Etat de l’UA, même si ce Tribunal n’est pas reconnu par de nombreux pays africains.
Des progrès sont malgré tout palpables sur les divisions et les approches individualistes mais cela ne se fait que rarement à l’avantage des populations africaines. Aussi, la question qui reste d’actualité est la suivante : l’Union africaine freine-t-elle l’unité des peuples Africains ?[xi] En réalité, le front uni des dirigeants africains repose sur une méthodologie inchangée depuis 47 ans : décider sur la base du plus petit dénominateur commun et un système évitant soigneusement le vote et préférant le consensus mou. Il ne faut donc pas s’étonner que l’on s’éloigne du processus conduisant à une fédération pour renforcer le statu quo de l’inter-indépendance et non l’interdépendance. En filigrane, les progressions tangibles qui ne sont pas toujours véritablement couronnées de succès consistent en : le respect de la non-ingérence dans les affaires intérieures d’un Etat membre qui semble faire place à une évaluation par les pairs et l’émergence de l’ingérence collective, via l’institution sous-régionale, dans les affaires intérieures d’un Etat africain.
Par contre, les progrès sont plus difficiles à percevoir sur les quatre points suivants, éléments déstabilisateurs de l’émergence d’une société de confiance en Afrique. Il s’agit, entre autres, de :
- la difficulté à faire progresser les droits humains et son reversa qui n’est rien d’autre que l’impunité face au pouvoir des militaires, de l’Etat et des partis uniques/dominants ;
- la priorité donnée aux exigences et intérêts des bailleurs de fonds y compris les entreprises multinationales aux dépens des intérêts des populations ;
- le soutien trop faible du secteur privé africain et spécialisé sur les marchés de proximité notamment en ne facilitant pas l’accès au crédit et l’épurement de la dette intérieure ; et enfin,
- l’impossible débat sur la levée partielle et volontaire de l’intangibilité des frontières en Afrique. Pourtant, l’intégration régionale suppose bien à terme la disparition des frontières.
Pourtant et pour revenir sur le thème principal de la conférence de l’UA à savoir les NTIC, c’est bien sur des formes nouvelles de levée de l’intangibilité des frontières qu’il va falloir trouver des accords. Mais, pour soutenir la sortie de la crise économique, ne serait-il pas possible, au moins un jour par mois et bientôt par semaine, que dans le cadre de l’intégration régionale, les Etats africains acceptent de lever partiellement et volontairement leurs frontières afin de favoriser les échanges, le commerce, les capacités productives, les infrastructures notamment les partenariats entre africains dans le domaine de l’eau, l’agriculture, la santé, l’énergie. Bref, l’action passe bien par ce genre de décision courageuse. De fait, le projet de création d’une Communauté économique africaine proposée depuis 1991 n’a jamais réussi à prendre le dessus sur les luttes d’influence, d’auto-neutralisation. Les projets politiques semblent de plus en plus faire l’objet de blocage du fait d’une forme de gouvernance à vue entretenue souvent par des puissances non africaines. C’est ainsi que le nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD) fait les frais de luttes intestines au point d’avoir été “auto-neutralisé” malgré le système original d’évaluation des pairs qui fait les meilleurs constats et peine à les mettre en œuvre. Il n’empêche que malgré ces contraintes, les chefs d’Etat africains se sont engagés à faire passer la population africaine de l’état de pauvreté à celui de prospérité[xii].
7. L’Union africaine : nouveau drapeau et prix de l’innovation scientifique
Pour finir sur une note positive, il convient de rappeler que l’Union africaine a maintenant un nouveau drapeau sur fond vert avec le continent africain au milieu entouré des 53 étoiles représentant chacun des pays membres et a décerné des prix[xii].
Deux sud-africains ont été honorés pour leurs travaux avec un prix de 100 000 $ des Etats-Unis, chacun dans la catégorie de la science de la technologie et de l’innovation. Il s’agit de Patrick Eriksson, Directeur du département de Géologie de l’Université de Pretoria et Diane Hildebrandt, le directeur adjoint du centre d’optimisation de la modélisation et des processus de synthèse à l’Université Wits. Reste à espérer que ces innovations puissent se diffuser et surtout conduisent à développer et améliorer les “capacités” et “capabilités” productives africaines. YEA.
Notes :
[i] Yves Ekoué Amaïzo (sous la direction de), [intlink id=”203″ type=”post”]La neutralité coupable : l’autocensure des Africains. Un frein aux alternatives ?[/intlink] avec une préface de Dr Abel Goumba et une postface de Godwin T. Tété-Adjalogo, collection “interdépendance africaine”, éditions Menaibuc, Paris, 2008, 446 p.
[ii] Jean Karim Fall, “Un nouveau président pour l’Union africaine : échec de la diplomatie libyenne », Radio France Internationale (RFI), 1er février 2010, voir < http://www.rfi.fr/contenu/20100131-nouveau-president-union-africaine-echec-diplomatie-libyenne>
[iii] La Communauté des Etats Sahélo-Sahariens a été créée le 4 février 1998 en Libye, voir : < http://www.cen-sad.org/new/index.php?option=com_content&task=view&id=33&Itemid=76&lang=french>
[iv] Jean Karim Fall, op. cit.
[v] Argaw Ashine, “Libya : Gaddafi Turns to Arab World After Failing to Win New Term”, The Nation, 1 February 2010, on
[vi] Argaw Ashine, op. cit.
[vii] L’Afrique est-elle incapable de s’unir. Lever l’intangibilité des frontières et opter pour un passeport commun, avec une préface du Prof. Joseph Ki Zerbo, “collection interdépendance africaine”, éd. l’Harmattan, Paris 2002, 666 p.
[viii] Yves Ekoué Amaïzo, “Post-développement et interdépendance”, in Revue Agir, “La Question du développement” no 35, septembre 2008, pp. 25-40.
[ix] World Bank, World Development Indicators 2009, Washington D.C., USA, pp. 310-312.
[x] PANA, “Afrique: Ping comprend la déception envers les casques bleus”, Afrique en ligne, Addis-Abéba, 1er février 2010.
[xi] Yves Ekoué Amaïzo, L’Union africaine freine-t-elle l’unité des Africains : Retrouver la confiance entre les dirigeants et le peuple-citoyen, avec une préface d’Aminata D. Traoré, collection “interdépendance africaine”, éditions Menaibuc, Paris, 2005, 390 p.
[xii] Voir le site de l’Union africaine, 3 février 2010, < http://www.africa-union.org/root/AU/Conferences/2010/january/summit/14thsummit.html>