Interview par : Mr. Daniele Zappalà
Journaliste correspondant à Paris, Mensuel italien Mondo e Missione, Novembre 2009
Interviewé : Dr. Yves Ekoué Amaïzo
Directeur de groupe de réflexion, d’action et d’influence “Afrology”
1) Dans sa dernière encyclique, Caritas in veritate, le Pape Benoît XVI écrit que «les causes du sous-développement ne sont pas en premier lieu d’ordre matériel», mais sont liées au «manque de fraternité entre les hommes et les peuples». Comment interprétez-vous cette vision par rapport notamment à la situation en Afrique ?
En Afrique, la complexité du problème réside en grande partie dans les déficits de légitimité de nombreux gouvernants. Pour paraphraser le Pape, “les causes du mal-développement ne sont pas en premier lieu d’ordre matériel…mais sont liées au manque de fraternité entre les dirigeants et les peuples-citoyens[i]“. Toutes les structures qui permettent de faire perdurer de tel rapport de force sans chercher à mettre en place des contre-pouvoirs démocratiques et légitimes, tendent à faire perdurer la situation au plan politique. Au plan spirituel, il n’est pas possible de faire l’économie de la complicité des acteurs qui ne se démarquent pas de telles pratiques proscrites par tous les grands livres saints.
2) Pourriez-vous nous citer un ou plusieurs exemples africains où la solidarité internationale est devenue un facteur de véritable développement sur place ?
Lorsque vous parlez de solidarité internationale, il faut nuancer. De nombreuses actions des organisations de la société civile, notamment les confessions religieuses, ont permis des réussites mémorables, notamment dans le domaine de la formation (les écoles et universités).
La solidarité internationale entre des donateurs qui financent des budgets des Etats des pays faiblement industrialisés avec des objectifs venus d’ailleurs n’ont pas souvent donné les résultats escomptés. L’aide n’est efficace que si elle rencontre les intérêts des populations et permet l’autodétermination. En réalité, l’aide en soit est neutre si elle ne sert pas de chantage pour réduire les marges de manœuvre de certains gouvernants dans les pays faiblement influents.
3) Ces dernières années, notamment à l’occasion des G8, on a assisté à une succession de « projets » pour le développement africain énoncés notamment par des puissances comme les Etats-Unis, la Grande Bretagne ou la France. Y a-t-il vraiment en Afrique des catégories de la population qui sont aujourd’hui encore sensibles à ce genre de discours ?
Il s’agit souvent de promesses de fonds pour le public occidental surtout qu’il s’agit plus des prêts que des dons et que la mise à disposition des fonds est régulièrement retardée. Certains dirigeants des PFI (Pays faiblement industrialisés) y croient puisque c’est l’occasion de déploiement d’une corruption qui ne peut avoir lieu sans des corrupteurs non-africains. La réalité est qu’une grande partie de ses fonds servent plus pour soutenir indirectement l’exportation des pays industrialisés et émergents. Les populations africaines ont été depuis fort longtemps désillusionnées.
4) Jusqu’à présent, une partie considérable des politiques internationales et nationales « de développement » en Afrique se sont faites sans tenir compte des réels besoins des populations. Comment dépasser cette impasse ?
Il faut revenir à ce que souhaitent le Pape et toutes les grandes religions à savoir ce qu’il y a de plus profondément ancré dans l’afrocentralité : il s’agit du solidarisme, une approche de la solidarité où la valorisation de l’individualisme ne peut se faire aux dépens de la communauté et du social-collectif. A ce titre, une relecture de l’histoire coloniale est indispensable en référence aux accumulations du capital en dehors de l’Afrique en exploitant les Africains. Le « manque de fraternité entre les hommes et les peuples » n’est pas le fait des Africains.
L’histoire effective doit être graduellement corrigée et cela commence à se faire. C’est un véritable devoir de mémoire et une leçon de solidarité qu’il faut méditer pour éviter que le manque de fraternité ne soit à sens unique, énoncé par ceux là mêmes qui n’ont pas fait preuve de solidarité entre les peuples comme en témoigne tout le système d’exploitation du travail humain et de l’accaparement des richesses africaines par des abus divers.
5) Un vieux débat sépare ceux qui prônent pour l’Afrique « un développement interne » (fondé d’abord sur l’amitié et sur l’intégration des Pays africains entre eux) et ceux qui au contraire jugent l’intégration de chaque Pays africain au reste du monde comme la priorité des priorités. S’agit-il d’un faux débat ?
Oui, c’est un faut débat. Il y a besoin d’une économie de proximité et d’une économie qui va chercher sur le marché mondial des opportunités. C’est la croissance économique partagée qui assurent des emplois décents. Mais l’irresponsabilité dans les arbitrages de gouvernance par des gouvernants non légitimes et la mise sous-tutelle économique n’ont pas permis de sortir de ce débat. Certains pays où la légitimité et des alternances politiques commencent à stabiliser le pays sont en train de sortir de cette impasse. On peut citer les pays comme : Maurice, Ghana, Cap Vert ou Botswana.
6) Pourquoi l’Union africaine a-t-elle toujours autant de mal à jouer pour l’Afrique un rôle économique comparable à celui joué par l’Union européenne en faveur de ses Etats membres ?
On ne peut comparer une entité de 53 pays avec plusieurs langues avec une Union européenne qui organise son élargissement à 27 à partir de richesses accumulées sur plusieurs générations. En fait, l’Union africaine n’est ni politique, ni économique, encore moins culturel. Elle y aspire mais la voie est longue tant que les régimes politiques ne seront pas légitimés et prêt à opter pour la subsidiarité, au moins au niveau sous-régional. Par ailleurs, une association de pays pauvres ne permet pas de faire jouer la solidarité budgétaire aussi facilement qu’au niveau de l’Union européenne. L’Union africaine, en acceptant de mimer l’Union européenne au niveau des structures et des institutions n’arrive pas à suivre au niveau des budgets. C’est ce manque de budget qui fait défait.
7) La dépendance alimentaire de nombreux Pays africains est-elle la preuve que les efforts dans le secteur de l’agriculture restent-ils absolument insuffisants ?
Ce n’est pas une preuve, c’est le constat d’une corrélation. La dépendance alimentaire relève d’abord des erreurs de gouvernance des dirigeants africains eux-mêmes. Ce sont le refus de l’organisation de la propriété notamment pour les femmes en zones rurales ou péri-urbaines, un absence de soutien à l’agglomération des compétences pour permettre une location des industries, le refus de donner la priorité au marché local et sous-régional et du coup en privilégiant des produits non vivriers pour des produits d’exportation qui ont ouvert le cercle vicieux de l’insécurité alimentaire.
Avec le développement des capacités productives et un minimum d’organisations autonomes des producteurs, consommateurs, transporteurs, distributeurs et exportateurs avec ou sans partenariat, il est possible d’associer l’agriculture et l’industrie, surtout si l’on réduit les pertes post-récoltes. C’est une question de volonté politique et d’affectation de budgets avec des objectifs clairs de productivité au service des populations. Cette volonté manque ou alors est utilisée conjoncturellement pour grossir le rang de la clientèle politique, notamment à l’approche des élections dont la transparence laisse à désirer.
Par ailleurs, en vue de l’émergence d’une industrie agro-alimentaire viable, l’Etat doit avoir un rôle de régulateur des prix et non plus d’interventionnisme dans les affaires des acteurs directement concernés. L’Etat devrait également se concentrer sur la mise à disposition d’infrastructure de soutien (électricité, eau, transports, régulation du marché et facilité à la productivité et à la formation).
9) Quel rôle peut jouer les acteurs liés aux Eglises (notamment les missions catholiques et protestantes) dans la recherche de voies nouvelles de développement pour l’Afrique ?
[…]En réalité, les voies nouvelles sont multiples et dépendent de la volonté de chaque structure confessionnelle. Je crois à la force de la fraternité chrétienne puisque vous parlez de religion chrétienne, mais rien ne devra stopper la fraternité entre les religions. […]
Ces voies nouvelles passent, entre autres, par des représentants des religions qui choisissent de transférer du savoir, du contenu technologique, de la création de valeur ajoutée, de réveiller des talents ou de former des Africains à devenir autonomes. C’est cette approche qui pourrait former les bases d’un nouveau solidarisme pérenne.
[1] Lettre encyclique Caritas in Veritate du Souverain Pontife Benoît XVI aux Evêques, aux Prêtres et aux Diacres, aux personnes consacrées, aux fidèles laïcs, et à tous les hommes de bonne volonté sur le développement humain intégral dans la charité et dans la vérité ; Voici la citation exacte du Pape “Le sous-développement a une cause encore plus profonde que le déficit de réflexion: c’est “le manque de fraternité entre les hommes et entre les peuples” ; vu le 29 septembre 2009 sur : <http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/encyclicals/documents/hf_ben-xvi_enc_20090629_caritas-in-veritate_fr.html >
[i] Yves Ekoué Amaïzo (sous la direction de), L’Union africaine freine-t-elle l’unité des Africains ? Retrouver la confiance entre les dirigeants et le peuple-africain, avec une préface de Aminata Traoré, collection “interdépendance africaine”, éditions Menaibuc, Paris, 2005.
LETTRE ENCYCLIQUE « CARITAS IN VERITATE » DU SOUVERAIN PONTIFE BENOÎT XVI
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