Moins d’un mois après le discours du Président des Etats-Unis, Barack Obama(i), prononcé le 11 juillet 2009 à Accra au Ghana, la secrétaire d’Etat en charge des affaires étrangères, Mme Hilary Clinton, sur instruction de son Président, effectuera une tournée dans sept pays en Afrique (Kenya, Afrique du sud, Angola, République démocratique du Congo, Nigeria, Liberia, Cap-Vert) du 5 au 14 août 2009. C’est une recomposition sélective des rapports américano-africains.
1. Le noyau dur du nouveau partenariat « Américano-Africain »
Maintenant que les Africains ont compris que Barack Obama est bien le Président des Américains et non celui des Africains, il convient donc se rendre à l’évidence que la tournée de Mme Clinton ouvre la porte à une nouvelle forme de relations d’affaires avec l’Afrique. Le soutien américain ira aux pays africains où les alternatives démocratiques permettent la pérennisation d’une nouvelle bonne gouvernance. Les institutions et les personnes qui permettent de soutenir une telle démocratie profiteront de l’aide américaine ciblée qui devra aussi donner de meilleurs résultats au plan économique pour les deux parties.
A ce titre, Dr Obama a promis de réduire la part du financement qui retourne dans l’escarcelle des consultants internationaux ou des gouvernements. La société civile africaine organisée et sérieuse ainsi que sa Diaspora devraient en principe en profiter. Il s’agit donc de se focaliser sur des secteurs comme la productivité et les technologies agricoles comme facteurs de création de richesse, de permettre l’ouverture accrue du marché américain aux produits et services des Africains, ce qui exclut par ailleurs l’utilisation de l’Afrique par des opérateurs asiatiques pour atteindre le marché américain. Bien sûr, la valorisation des énergies renouvelables et alternatives ainsi que l’amélioration des capacités productives venant soutenir la sécurité alimentaire en Afrique devront progresser dans ce partenariat nouveau qui démarre. Les sept pays visités et le Ghana composent en fait le premier noyau dur dans le nouveau partenariat américain avec l’Afrique. Pour le reste, il faudra que chaque pays se demande pourquoi Barack Obama n’a pas choisi de visiter leur pays, à commencer par le Togo(ii) où la légitimation du pouvoir reste une question ouverte depuis les élections présidentielles de 2005.
Ce nouveau club de partenariat américano-africain sera sélectif et les conditions de participation au club pourraient parfois sembler contradictoires. En effet, le fait de fournir des matières premières non transformées (essentiellement pétrole) aux Etats-Unis reste une priorité et pourrait, selon les circonstances, transformer en accessoires le respect de la vérité des urnes, la démocratie, la création de richesse et responsabilité individuelle et collective des dirigeants. Il faut donc espérer que le Président américain ne tombe pas dans ce piège dans lequel ses prédécesseurs sont tombés.
2. Diplomatie de l’exception, charité politique et diplomatie de la dépendance
Cette nouvelle approche ne manquera pas de comporter des exceptions si les dirigeants africains non « visités » font le gros dos en modifiant les constitutions pour se maintenir. Les Etats-Unis se contenteront alors de prendre note. En effet, l’accès prioritaire aux matières premières africaines, le besoin de s’assurer que certains pays africains ne s’alignent plus systématiquement sur les anciens pays colonisateurs ou sur les pays asiatiques qui ont gommé les droits humains et la démocratie dans leur dictionnaire de la diplomatie risquent d’ouvrir la voie à une diplomatie de l’exception. La réalité est que les Africains doivent cesser d’être naïfs sur les rapports politiques entre Etats. Les intérêts des pays ne se sont jamais mesurés à l’aune de l’amitié entre les chefs d’Etat, se sont encore moins fondés sur le principe de la charité politique, une forme curieuse de foi des Africains en la croyance que les pays occidentaux viendront les débarrasser de ceux qui divergent des principes de bonne gouvernance, de droits humains et de démocratie.
En réalité, c’est même le fait de diverger de ces principes qui fonde la base de la diplomatie de la dépendance. Il suffit alors de faire des concessions en facilitant l’accès des pays occidentaux aux richesses et capacités productives africaines pour qu’en contrepartie, les pays occidentaux ferment les yeux sur les abus et les pratiques de mal-gouvernance. Cela favorise alors la conservation du pouvoir, un pouvoir structurellement patrimonial et de plus en plus familial. Il n’est donc pas question nécessairement de favoriser les alternances politiques. C’est pour cette raison que les partis d’oppositions africains n’ont quasiment jamais été soutenus par les puissances occidentales et ne peuvent compter que sur eux-mêmes et les populations locales. Mais avec la “ventrologie ambiante(iii)“ et le pullulement des organisations de la société civile de type organisations non gouvernementales financées par les gens du pouvoir, il est difficile parfois pour les partis politiques d’opposition d’être considérés comme des représentants d’une population. Rappelons qu’une grande partie de cette population doit d’abord s’assurer de manger chaque jour quand les moustiques, l’insécurité sanitaire en général et les inondations de la saison des pluies, pour ne citer que ces points, ne viennent pas contrecarrer ce besoin de survie au quotidien.
Le Ghana a réussi ce pari et l’alternance démocratique a eu lieu par deux fois avec le respect des droits humains et sans “chasse aux sorcières”. Ailleurs, lorsque les populations africaines sont versatiles face à la puissance de l’argent ou les menaces d’une armée non-républicaine, la pauvreté et la ventrologie servent de rampe de lancement pour saboter toutes les formes d’alternatives, y compris celles qui proviennent de la Diaspora. Aussi, la vision d’Obama de déverrouiller l’Afrique, autrement dit, libérer les énergies des Africains risque de n’être qu’un vœu pieux si les interventions unilatérales des Etats-Unis ressemblent à celles effectuées en Irak ou se perdent dans le brouillard diplomatique dès que les pays peuvent offrir et augmenter leur exportation d’hydrocarbures ou de minerais rares vers les Etats-Unis.
Aussi la seule force organisée en Afrique et détenant la puissance de feu et les abus qui vont avec, reste les militaires. Ces derniers, dont la référence fait cruellement défaut dans le discours d’Obama, ont vite compris combien il était important pour leur avenir d’avoir un dirigeant africain de préférence civil défendant leurs intérêts fondamentalement alimentaires. Aussi, partout en Afrique où les militaires ont dirigé directement ou indirectement un pays, les intérêts des populations locales ont trop souvent été sacrifiés ou sont passés en priorité seconde par rapport aux intérêts des pays occidentaux. C’est donc ce couple anachronique, “dirigeant civil et armée non républicaine”, qui verrouille les alternatives en Afrique(iv). Les discours de Barack Obama et de Nicolas Sarkozy(v), Président de la France, prononcé à Dakar, font l’impasse sur cette réalité. On ne peut s’empêcher de penser à l’AFRICOM(vi) bloqué et les bases militaires françaises en pleine restructuration sur le sol africain.
3. Afrocentricité, nouvelle gouvernance et gouvernance du futur
En réalité, l’armée et les militaires deviennent graduellement des instruments dans les mains de ceux qui détiennent la réalité du pouvoir sur les territoires africains. C’est ainsi que le principe des coups d’Etats sont devenus rapidement un mode de gouvernance, condamné par tous, mais mis en scène dès que les intérêts des uns ou des autres sont fondamentalement menacés. C’est donc de cette Afrique dont il est question et non d’une l’Afrique idéalisée où le seul mot d’ordre consiste à dire aux populations de compter sur elles-mêmes… L’avenir de l’Afrique est devant elle. C’est ce que Jean Ping, le Président de la Commission de l’Union africaine, a justement rappelé dans son livre “Et l’Afrique brillera de 1000 feux”(vii) !
Mais, il faut s’interroger sur l’approche adoptée dans ce livre qui s’éloigne de l’afrocentricité(viii) et oublie de rappeler que l’Occident des lumières, valorisé sous la forme du mimétisme dans ce livre, a disqualifié les visions du monde forgées par les peuples africains, a promu l’esclavage et la traite des Africains et semble s’accommoder de la dépendance économique. Aussi, la nouvelle gouvernance africaine prônée par Barack Obama ne peut reposer que sur une destruction-reconstruction volontaire et consciente des valeurs africaines et de l’Africain. Cela passe aussi par la revalorisation de l’image de l’Afrique dans les médias, tant du côté des Occidentaux qui n’ont pas encore conscience du niveau de destruction de leur gouvernance passée de la traite des Africains que du côté de certains Africains complexés et inhibés qui doutent encore de leur capacité collective à retrouver leur gloire d’antan.
Toutes les autres formes de “nouvelle gouvernance” qui ne procèderaient pas à une déconstruction-reconstruction, pourraient, si l’on n’y prend garde, verser dans le palliatif de circonstance ou ouvrir la voie à la gouvernance du futur, cette approche consistant à se projeter dans le futur pour éviter de parler du présent : les fameux “Y a KA”, ceux qui prônent qu’il n’y a qu’à faire ceci ou cela sans apporter les moyens, les stratégies et autres moyens financiers pour opérationnaliser toute idée. Malheureusement, les adeptes du “Y a KA” qui se projettent volontiers systématiquement dans le futur éloigné, ne peuvent être candidats pour mettre en place une nouvelle gouvernance en Afrique. Barack Obama devra apprendre à les distinguer pour ne pas verser dans l’erreur.
Une conception qui permet encore d’illusionner certains Africains que la vision positive de l’Afrique arrivera sans s’inscrire dans les luttes des aïeux et profiter des opportunités alternatives offertes par la Diaspora. L’Afrique ne pourra « briller de 1000 feux » que si elle redevient solidaire de la vérité et ne place pas les concepts eurocentriques au-dessus des concepts afrocentriques. En attendant, il restera à marquer d’un sceau ceux des Africains qui croient en un futur radieux sans lutter contre ceux qui justement s’évertuent à laisser systématiquement d’autres faire des Africains ce qu’ils souhaitent que l’Afrique soit. Cette incapacité à discerner un processus subtil de neutralisation de l’émergence d’une autre Afrique est encore trop souvent camouflée derrière le terme commode et bien africain de “médiation et paix”, un système bien rodé qui permet au pouvoir en place de se perpétuer en son sein et au mieux de remplacer le progrès par le statu quo de la paix policière.
Aussi, lorsque Barack Obama rappelle dans son discours que “Nous devons partir du principe qu’il revient aux Africains de décider de l’avenir de l’Afrique“, il importe de lui rappeler qu’il doit être plus précis. Les Africains ont toujours voulu décider de l’avenir de l’Afrique mais les Etats, les mercantilistes sans scrupules d’antan et d’aujourd’hui ainsi que certains hommes d’églises ou de mosquées n’ont pas hésité à contrecarrer le dessein des Africains libres. L’Afrique n’a jamais agressé personne, au contraire, elle est victime de sa trop grande hospitalité envers l’étranger. Sa main d’œuvre, corvéable à merci, a permis d’enrichir les grands esprits, y compris les humanistes du siècle des lumières en Europe. Le mimétisme devra être revisité à l’aune de l’afrocentricité sinon il ne s’agira que d’une nouvelle forme de soumission volontaire qui ne fera pas avancer l’Afrique.
Aujourd’hui, ce sont les formes subtiles structurées dans la dépendance économique qui prennent le relais. Suite à la décision généreuse du G20 d’accorder une aide sans précédent, devancée d’un allègement de la dette des pays pauvre, le Fonds monétaire international(ix) (FMI) n’a absolument pas changé les conditions de remboursement des prêts, ni le mode décisionnel au sein de son conseil d’administration. Donc, d’ici une dizaine d’années compte tenu des délais de grâce accordés pour rembourser ces prêts budgétaires, l’endettement des pays africains pauvres risque de retrouver des niveaux record, puisque le mode de calcul des intérêts composés n’a pas été changé. Alors, il s’avère nécessaire d’ajuster la position de Barack Obama comme suit : Il revient aux dirigeants puissants du monde industrialisé de ne plus neutraliser les Africains qui souhaitent libérer l’avenir des Africains. Pour ce faire, il faudra nécessairement distinguer entre les dirigeants africains et les populations africaines, surtout dans les pays où la vérité des urnes n’est pas respectée. Le Président Obama n’était pas dupe, puisqu’il a même proposé la voie à suivre en rappelant que d’autres pays industrialisés ne l’ont pas fait jusqu’à ce jour. Il devient urgent alors de revenir aux valeurs éthiques des Africains et s’assurer que personne ne s’en éloigne trop au risque de ne plus servir les intérêts des populations africaines dans leur grande majorité.
4. Des valeurs éthiques africaines pour transformer les Africains
Au niveau des principes, le Président Obama rappelle que : “Nous avons le devoir de soutenir ceux qui agissent de façon responsable et d’isoler ceux qui ne le font pas, et c’est exactement ce que fera l’Amérique.” C’est donc à l’aune de cette mesure qu’il faudra évaluer le succès ou non du voyage de Mme Clinton en Afrique et le suivi que le Congrès réservera à l’Afrique en termes budgétaires. D’après le Président Obama, “l’histoire est du côté de ces courageux Africains, et non dans le camp de ceux qui se servent de coups d’État ou qui modifient les constitutions pour rester au pouvoir. L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais de fortes institutions.” Personne ne peut contester de telles affirmations. Reste à savoir ce que feront les Etats-Unis lorsque ces points ne sont pas ou ne seront pas respectés. Dans le cas de l’Algérie, du Niger, du Togo ou de l’Angola, il faut espérer que les pressions molles ne feront pas vite place à des arrangements qui conforteront les positions commerciales des Etats-Unis, surtout si les populations sont muselées et formatées au silence afin d’éviter des manifestations trop visibles du mécontentement des populations. Il faut se demander si c’est donc de cette hypocrisie diplomatique dont il est question. Car si cela devait être le cas, les pays de moyenne puissance qui contrôlent économiquement les différentes parties d’Afrique, y verront l’occasion de conforter leur stratégie de soutien discret au pouvoir de dirigeants africains qui n’ont d’autres ambitions que de décider de l’avenir de l’Afrique en fonction du soutien accordé pour leur maintien au pouvoir.
Aussi, c’est de 1000 lumières et non de feux dont l’Afrique devra briller. Elle a besoin de s’ancrer dans l’interdépendance(x) et les Etats qui veulent remettre en avant les valeurs de solidarité politique ont un rôle à jouer. Barack Obama ne s’y est pas trompé en constatant que “les gouvernements qui respectent la volonté de leur peuple, qui gouvernent par le consentement et non par la coercition, sont plus prospères, plus stables et plus florissants que ceux qui ne le font pas.” Sauf que lorsque les matières premières sont importantes et que le couple “militaro-dirigeant civil” se l’approprie ici et là en Afrique, la croissance économique exponentielle de quelques rares pays africains (Guinée équatoriale ou Tchad) fait voler en éclat les idéaux. L’exemple du silence quasi-religieux sur ces deux pays permet de mesurer le degré de flexibilité de l’importance de la démocratie face aux intérêts économiques stratégiques des pays industrialisés.
Cette nouvelle gouvernance suppose un rôle accru des Etats, et donc de l’interventionnisme étatique. Aussi, l’importance de l’intervention intelligente de l’Etat africain, donc de ses dirigeants, devient cruciale ; leur responsabilité individuelle et collective et leur volonté effective à rendre des comptes aux populations doivent intégrer les critères américains permettant d’aller vers la diplomatie intelligente que prône Mme Clinton. Cette diplomatie dite “smart diplomacy” n’est en fait que de la diplomatie intelligente du pouvoir, dite “smart power diplomacy(xi)“, une série d’instruments de pression de type diplomatique, économique, militaire, politique, légal et culturel ainsi que la combinaison et le dosage multiple selon l’interlocuteur. Les espoirs sont permis, même là où personne ne croit plus que la vérité des urnes puisse être respectée, si la diplomatie intelligente du pouvoir penche du côté des valeurs africaines de la vérité, du solidarisme et de la liberté. Lors des récentes élections de Guinée-Bissau, la victoire, sans irrégularités majeures, de Malam Bacai Sanha, alias « Mambas », avec plus de 63% des voix a été acceptée par son rival malheureux Kumba Yala lequel a immédiatement reconnu sa défaite et a accepté de jouer le jeu de la démocratie en qualité d’opposant. Cela témoigne bien de la volonté des populations de décider de l’avenir de leur pays… c’est une vraie leçon aux narcotrafiquants qui contrôlaient ce pays depuis quelques décennies et ne fournissaient ni travail, ni salaire décent à l’ensemble de la population.
Il devient urgent alors de s’interroger sur les besoins de création de richesses en Afrique sans que cela ne soit limité à du simple commerce, ou à des approches patrimoniales, proches de l’usurpation des efforts des Africains travailleurs. Il faut retrouver les moyens de libérer les énergies africaines de transformation des produits locaux pour un marché de proximité d’abord, régional ensuite afin de servir en priorité les intérêts des populations. C’est aussi cela le développement des capacités productives. Pourtant, ce sont les mêmes qui viennent tardivement et de manière opportuniste profiter de la vague de la nouvelle gouvernance qui s’opposent à la mise en œuvre des initiatives liées au développement des capacités productives en Afrique. Il n’y a pas de partenariat solidaire sans une refonte des accords de partenariats économiques fondés sur le développement des capacités productives et les infrastructures et les institutions d’appui en Afrique.
5. Partenariat solidaire : transformation et capacités productives
D’emblée le principe de la charité de l’aide comme mode de sortie de la pauvreté en Afrique doit être exclu. C’est au contraire la volonté et la diffusion effective des contenus technologiques à des fins de résilience en Afrique qui doivent servir d’instruments de mesure de l’efficacité du partenariat solidaire entre les Nations. Ce nouveau partenariat solidaire doit reposer sur une dialectique du changement, de l’alternance et de la mutation. Barack Obama l’a rappelé : “Toutefois, le véritable signe de réussite n’est pas de savoir si nous sommes une source d’aide perpétuelle qui aide les gens à survivre tant bien que mal, mais si nous sommes des partenaires dans la création des capacités nécessaires pour un changement transformateur.”
En réalité, c’est d’un déclic puissant dont l’Afrique a besoin pour ouvrir une nouvelle ère de progrès, de justice et de prospérité partagée. Barack Obama a choisi de s’inscrire à côté des pays qui l’ont compris comme le Ghana et les sept autres pays visités par Mme Clinton et tient à soutenir d’autres souhaitant aussi rejoindre ce nouveau club lequel, assurément, est différent du syndicat des chefs d’Etat africains. Il y a en fait Rupture avec le discours de Dakar du président français, Nicolas Sarkozy ! De nouvelles opportunités sont offertes mais ne peuvent devenir réalité que si l’éthique, les valeurs africaines et une organisation collective prennent le pas sur les approches parcellaires, contradictoires et égoïstes, parfois sous le couvert de l’intégration régionale ! Il reste à l’Afrique à apprendre qu’elle détruit ses propres atouts, ses propres idées, et ses propres ressources humaines lorsqu’elle choisit de considérer en priorité ce qui ne provient pas des Africains dans son processus de prise de décision. Il faut s’étonner que de nombreuses décisions importantes soient prises en Afrique sans un comité contradictoire d’experts africains. Comment peut-on aboutir à un éclairage scientifique sans parti pris en refusant aux experts africains, y compris ceux de la Diaspora, de prendre part à la vie de la cité, et donc de faire de la politique au-dessus des ethnies et des partis politiques ?
Comment est-ce que 54 Etats peuvent avoir décidé d’approuver en 2004 une initiative de développement des capacités productives et refuser ensuite de la mettre en œuvre en préférant opter pour la simple commercialisation des produits non transformés ? Oui, c’est aussi cela l’Afrique des dirigeants avec leurs contradictions. Si on avait procédé à un vote démocratique d’un tel projet de société, ces décisions erronées, aux dépens des populations africaines sans défense, n’auraient pas vu le jour. Mais la crise de confiance dans le consensus de Washington qui a totalement échoué à mener les pays africains vers la prospérité, la crise d’un système néo-libéral dénué d’humanisme et de solidarisme qui transforme, de force, l’Afrique en un vaste réservoir, que dis-je, un grand “puisoir” de ressources non transformées est en train de se déliter.
C’est à cette révolution que nous invite Barack Obama. Pour le moment, de nombreux dirigeants tentent de faire le dos rond en espérant que la réalité des relations d’affaires reprendra le dessus… Sans faire du bruit et en se fondant sur les réseaux parfois occultes, parfois mafieux, c’est comme cela que la Françafrique retrouve ici et là en zone franc, ses lettres de noblesse d’antan, sans toutefois être nommée…
La prise de conscience du Président américain, métis assimilé à un noir, ne change pas la donne sur le fond. Il a permis au moins de dire quelques vérités à certains dirigeants africains se considérant au-dessus des lois. Imaginez que Barack Hussein Obama ait été un simple noir de la Diaspora africaine avec une carte de séjour en train de périmer et qu’il ait prononcé ce discours. Il est quasiment certain qu’il risquait d’être accueilli avec moins d’honneur, quand il ne s’agissait pas tout simplement d’aller en prison pour “outrage à un chef d’Etat”… Il devrait demander “pardon”, dire qu’il s’est trompé et renoncer à faire de la politique à jamais, condition que Léopold Sedar Senghor avait posé pour laisser son opposant et ex-premier ministre Mamadou Dia, pour le sortir des geôles sénégalaises alors que ce dernier souffrait de glaucome… La libération de Mamadou Dia a eu lieu alors que ce dernier était devenu aveugle… On attend encore le monument érigé au courage et à la mémoire de cet Africain hors pair qui a eu pour seul tort, de s’attaquer à la corruption et aux corrupteurs…
Oui, il faut replacer le discours d’Obama dans le contexte africain de susceptibilité des dirigeants. La plupart des Africains censés ont prononcé tout ou parti d’un tel discours et ne sont pas repartis vivants d’Afrique. Barack Obama doit aussi être conscient que de nombreux africains qui tenteraient de répéter son discours pourraient être poursuivis. Son administration devra donc nécessairement faire du suivi et permettre que les organisations de défense de la liberté et les journalistes puissent prendre attache avec les ambassades américaines sur place en cas de menace de la part des dirigeants des Etats qui se sentiraient concernés par le discours d’Accra.
En effet, en comparaison et pour revenir au discours de Dakar de l’actuel Président français, on ne retrouve nullement l’esprit du donneur de leçon condescendant… Une grande partie de l’Afrique s’est offusquée et l’a fait savoir bruyamment quand elle n’a pas simplement considéré ce discours comme le signe du non-lieu de la rupture. Le nègre de service en a pris pour son grade, mais a promis de recommencer… L’Afrique n’a qu’à avancer sans se laisser distraire par ceux qui ne défendent que leurs intérêts sans se soucier des intérêts des populations africaines.
6. Arrêtez de diviser l’Afrique et négocions un nouveau contrat social
Toute forme de réussite future des Etats-Unis en Afrique comme des autres partenaires passe par la création de capacités productives et d’institutions d’appui pour en assurer la pérennisation. Elle ne peut se faire sans les Africains dans toutes leurs diversités et pluralités. Mais ce n’est pas en les divisant entre eux que cela pourra faire émerger cette nouvelle gouvernance. Obama rappelle que : “Nous sommes tous répartis selon nos identités diverses, de tribu et d’ethnie, de religion et de nationalité. Mais se définir par son opposition à une personne d’une autre tribu, ou qui vénère un prophète différent, cela n’a aucune place au XXIe siècle. La diversité de l’Afrique devrait être source de force et non facteur de division. Nous sommes tous enfants de Dieu.” Pourtant, certains enfants de Dieu croient fondamentalement que leur culture est supérieure à celle d’autres enfants de Dieu.
L’eurocentralité qui sied aux Accords de partenariat Economique de l’Union européenne, l’unilatéralisme qui émane de la Loi sur la croissance et les possibilités économiques en Afrique (AGOA(xii)) et du Millenium Challenge Account(xiii) américain doivent être revisités d’un point de vue de l’Afrocentralité. Les Accords de Partenariat économiques proposés par l’Union européenne ne pourront pas y échapper. « Business as usual » et la bureaucratie seront proscrits. Il faudra aussi y rajouter l’arrogance de certains officiels américains. Les méthodes africaines de travail devront aussi changer pour devenir plus agiles.
Il est clair maintenant que l’aide dit « budgétaire » privilégiée par l’Union européenne et l’aide dit « projet » privilégiée par les Etats-Unis ne marchent pas et favorisent en fait la corruption et les corrupteurs. L’approche de la Chine en privilégiant le troc et les contreparties change la donne surtout lorsque le volet éthique ne semble pas être une priorité. Le nouveau partenariat avec l’Afrique du Président Obama doit faire ses preuves puisque la contractualisation dépend encore beaucoup du degré d’unilatéralisme et du rapport de force de l’un des partis.
On est à l’aube d’une nouvelle forme de solidarisme multipolaire, un préalable à la nouvelle gouvernance qui ne peut plus tolérer que les solutions aux problèmes des Africains se traitent uniquement avec des dirigeants africains qui n’ont pas passé l’épreuve de la vérité des urnes avec succès.
S’il y a un problème d’immigration des minorités visibles en Occident, c’est bien parce que la vérité des urnes ne fonctionne pas en Afrique et que l’Occident n’intègre que par ajustement du marché. La migration, comme au demeurant la nouvelle gouvernance, doivent être négociées avec les acteurs concernés surtout lorsque la légitimité des dirigeants fait défaut. Bref, c’est toute la relation Etat à Etat qui doit être revisitée… Cela risque d’ailleurs de remettre en cause le fonctionnement actuel des Nations Unies ou de l’Union africaine qui n’acceptent que le point de vue d’Etats, y compris ceux qui sont bien éloignés de la vision contenue dans le discours de Barack Hussein Obama, Président des Etats-Unis d’Amérique. Il est donc impossible à des acteurs de la société civile d’accéder à des postes ou tout simplement d’influencer au plan institutionnel la décision de ces institutions étatiques. Le problème commence dès que la légitimité ou l’unilatéralisme des rapports de force notamment militaires et la dépendance financière envers les donateurs principaux formatent les décisions qui vont à l’encontre des intérêts de populations sans défense.
Il faut simplement accepter de négocier le nouveau contrat social sans donner l’exclusive à des représentants illégitimes des populations africaines. Alors, oui, Obama est visionnaire et il peut affirmer qu’”une nouvelle ère de progrès a débuté. Ce moment peut être celui où nous verrons, une fois de plus, triompher la justice. Oui, nous le pouvons. Merci beaucoup. Que Dieu vous bénisse.”
La diplomatie intelligente suppose donc une volonté réelle, un soutien effectif au partenariat solidaire et l’introduction des capacités productives au centre des relations économiques pour sortir l’Afrique de la dépendance économique. Aussi, pour « déverrouiller les potentialités de l’Afrique », il faudra ensemble avec Barack Hussein Obama « déverrouiller les dirigeants africains pour libérer les Africains ». YEA.
Notes :
(i) Version française, voir http://www.20mai.net/2009/07/12/version-francaise-du-discours-dobama-prononce-au-ghana/, voir aussi annexe numéro 1 ci-dessus d’où son tiré les extraits mentionnés dans le texte.
(ii) Yves Ekoué Amaïzo, « Des Solutions pour le Togo : libérons les énergies », Contribution au Congrès Mondial de la Diaspora Togolaise, 25 juillet 2009, voir «www.cmdtogo.org et http://fr.amaizo.info/2009/07/25/des-solutions-pour-le-togo-liberons-les-energies/ et « Pourquoi Obama n’est pas allé au Togo ? », sur < http://www.togocity.com/article.php3?id_article=3953 >
(iii) Yves Ekoué Amaïzo (sous la coordination de), L’Afrique est-elle incapable de s’unir ? Lever l’intangibilité des frontières et opter pour un passeport commun, avec une préface de feu Prof. Joseph Ki-Zerbo, collection “interdépendance africaine”, éditions L’Harmattan, Paris, 2002.
(iv) Yves Ekoué Amaïzo (sous la directeur de), La neutralité coupable. L’autocensure des Africains, un frein aux alternatives ?, avec une préface du feu Professeur Abel Goumba et une postface de Têtêvi Godwin Tété-Adjalogo, collection “interdépendance africaine”, éditions Menaibuc, Paris, 2008.
(v) Nicolas Sarkozy, « Allocution de M. Nicolas SARKOZY », Président de la République, prononcée à l’Université de Dakar, Sénégal, 26 juillet 2007 ; voir < http://www.elysee.fr/elysee/elysee.fr/francais/interventions/2007/juillet/allocution_a_l_universite_de_dakar.79184.html >
(vi) AFRICOM : Le Commandement Militaire des Etats-Unis d’Amérique pour l’Afrique a été créé le 6 février 2007 sous le Président Bush (USAFRICOM) et est devenu opérationnel le 2 octobre 2008. L’AFRICOM est le résultat d’une réorganisation interne de la structure du commandement militaire des Etats-Unis qui crée un état-major responsable des relations militaires entre les Etats-Unis et les pays africains, ainsi que du soutien militaire à la politique étrangère des Etats-Unis. AFRICOM essentiellement axé sur la prévention des conflits plutôt que sur les opérations militaires traditionnelles, AFRICOM était censé travailler étroitement avec les nations et organismes africains pour renforcer la situation sécuritaire dans toute la région et leur capacité de répondre aux crises, créant un environnement plus stable propice à la croissance économique et politique. Il s’agit donc d’appuyer unilatéralement la sécurité, le développement, la diplomatie et la prospérité en Afrique. Il est aussi question d’améliorer les capacités sécuritaires des Africains. Il n’est officiellement pas question d’établir de nouvelles concentration ou des bases militaires en Afrique. Les chefs d’Etat ont pour la première fois collectivement refusé l’instauration d’AFRICON sur le sol africain. AFRICOM est en principe basé à Stuttgart en Allemagne.
(vii) Jean Ping, Et l’Afrique brillera de 1000 feux, éditions l’Harmattan, Paris 2009.
(viii) Molefi Kete Asante, L’Afrocentricité, traduction de Ama Mazama, éditions Menaibuc, Paris, 2003.
(ix) Merle Kellerhals, « Le FMI va accorder de nouveaux prêts aux pays à faible revenu », in America.gov, 30 juillet 2009, voir <http://www.america.gov/st/econ-french/2009/July/20090730153225esnamfuak0.9406244.html>
(x) Yves Ekoué Amaïzo, De la dépendance à l’interdépendance. Mondialisation et marginalisation. Une chance pour l’Afrique. Collection “interdépendance africaine”, éditions l’Harmattan, Paris, 1998.
(xi) Hilary Clinton, “Statement of Senator Hillary Rodham Clinton, Nominee for Secretary of State Senate Foreign Relations Committee”, January 13, 2009, voir < http://foreign.senate.gov/testimony/2009/ClintonTestimony090113a.pdf>
(xii) AGOA: La loi sur la croissance et les possibilités économiques en Afrique (African Growth Opportunity Act), voir < http://www.america.gov/st/econ-french/2009/July/20090721133044liameruoy0.7832453.html >
(xiii) Millenium Challenge Account des Etats-Unis: Obama demande au Congrès américain de lui accorder 1,4 milliards de $US pour soutenir les activités du MCA en 2010, soit plus de 63 % d’augmentation par rapport à 2009 ; voir < http://www.mcc.gov/mcc/press/releases/release-050709-presidentobama.shtml >