Malgré les nombreuses voix non constructives ou désabusées qui ne voient en l’Union africaine qu’une coquille vide, il faut reconnaître que les chefs d’Etat africains discutent sérieusement de sujets qui fâchent et n’aiment pas rendre tout ceci public. Le Président ougandais Yoweri Museveni a même préféré ne pas se rendre à Sirte en Libye où s’est tenue cette 13e session ordinaire de l’Union africaine, pour éviter certainement des empoignades mémorables, pour ceux qui se souviennent des divergences entre lui et le Guide libyen, Mouammar Kadhafi.
1. Folklore et logique africaine à géométrie variable
Au-delà du folklore donné par les rois traditionnels, ces derniers n’ont toujours pas tranché le problème de la succession du roi des rois traditionnels. Actuellement, ce poste autoproclamé revient au Guide libyen. Il faut espérer que le titre-poste de “roi des rois traditionnels” n’est pas attribué à vie ou selon le niveau de rétributions financières. Toutefois, il faut se demander si les oracles, marabouts et divers sorciers voyants et visionnaires africains ont besoin de stimulants financiers pour identifier, ou faire semblant d’identifier, qui sera le prochain “roi des rois traditionnels africains” et quand.
Il faut se rendre à l’évidence que certains dirigeants africains continuent d’informer ceux dont ils dépendent au plan financier et de recevoir des informations venues d’ailleurs qui influent sur la position africaine. A ce titre, il faut noter qu’à Sirte, la plupart des téléphones portables étaient régulièrement brouillés au niveau du Centre de conférence, et cela correspondait souvent avec l’arrivée du Guide libyen. Il doit s’agir d’une pure coïncidence.
Trois grands sujets étaient à l’ordre du jour de cette réunion des chefs d’Etat africains : la promotion de l’agriculture et de la sécurité alimentaire, le règlement des conflits en Afrique, le respect des principes démocratiques avec en filigrane les modifications intempestives et sur mesure des constitutions. On peut se demander ce que la Tunisie, l’Algérie, le Togo et bien d’autres peuvent bien vouloir dire au Président du Niger, aux acteurs politiques de la Mauritanie ou à l’autorité de transition de Madagascar puisque ces premiers pays se sont organisés pour modifier la Constitution de leur pays afin de la tailler sur mesure, parfois avec l’appui de l’armée africaine dont l’éthique républicaine se conjugue encore et souvent au futur. S’agit-il de débat interne à la nation, ce qui supposerait qu’il ne peut y avoir d’intervention des communautés régionales, ni de l’Union africaine encore moins des Nations Unies ? Ou alors, ne faut-il pas décider d’après une logique africaine à géométrie variable selon les intérêts en jeux, selon les positions des ex-pays colonisateurs ou tout simplement en fonction des conciliabules qui trouvent des consensus selon le poids des transferts d’argent? Cette complexité de la prise de décision africaine surtout au niveau supranational ne doit plus être occultée et explique les silences, les retards dans les positions et surtout les changements imprévisibles de positions de certains dirigeants africains. Paradoxalement, cela donne beaucoup de poids à des structures d’influence peu démocratiques, et souvent occultes. Ne pas appartenir à ces lobbies à l’africaine, c’est une exclusion quasi-certaine de la vie politique et économique en Afrique. La Diaspora africaine en fait souvent les frais.
2. Non-ingérence dans les affaires intérieures, sauf que…
En réalité, les chefs d’Etat africains sont pris dans leur perpétuelle contradiction consistant à refuser de “voter” à la majorité qualifiée pour prendre une décision collective tout en se retranchant derrière certains principes de l’article 4 du traité constitutionnel de l’Union africaine (i). Faut-il rappeler l’alinéa qui propose la mise en place d’une politique de défense commune pour le continent… Sur ce plan, les propositions du Guide libyen ne font que respecter les engagements des chefs d’Etat. Ainsi, faut-il croire sérieusement que certains des chefs d’Etat s’opposant à la réalisation de l’article 4 alinéa d (voir tableau ci-dessous) travaillent peut-être pour des intérêts autres qu’Africains? L’article 4 alinéa g rappelle la “non-ingérence d’un Etat membre dans les affaires intérieures d’un autre Etat-membre” alors que l’alinéa h autorise l’Union africaine à intervenir dans un Etat membre sur décision collective mais uniquement dans certaines circonstances graves (crimes de guerre, génocide, crimes contre l’humanité) où ne figurent ni les droits humains, ni la démocratie. L’alinéa j permet pourtant à un Etat membre de solliciter l’intervention de l’UA pour restaurer la paix et la sécurité. Aussi, si un Etat ne sollicite pas l’UA, c’est la non-ingérence dans les affaires intérieures qui prévaut. Mais au niveau de l’article 4 alinéa c, l’Union africaine a failli car il est clairement question de participation des peuples africains aux activités de l’Union. Cette participation est interprétée selon le bon vouloir de l’UA. Aussi, il ne s’agit pas de soumettre réellement les décisions importantes directement aux populations. Lorsque cela est indispensable, il est fait recours aux parlements africains, avec les limitations liées à la légitimité des élections en Afrique où la vérité des urnes n’est pas toujours au rendez-vous.
Sur un autre plan, l’unanimité des Africains à refuser de coopérer avec le Tribunal pénal international qui demande l’arrestation du Président soudanais Omar El Béchir pourrait aussi s’expliquer par le respect des principes contenus dans l’article 4 alinéa a : “Egalité souveraine et interdépendance de tous les Etats membres de l’Union”. Est-ce à dire au-delà de la “punition” juridique envers le tribunal et indirectement le secrétaire général de l’ONU qui a transmis la requête au TPI, que les chefs d’Etat africains considèrent que le Président du Soudan a respecté l’article 4 alinéa o qui rappelle le “respect du caractère sacro-saint de la vie humaine et condamnation et rejet de l’impunité, des assassinats politiques, des actes de terrorisme et des activités subversives”? Certainement pas ! Mais une chose après l’autre. D’abord rappeler qu’un tribunal, financé par des fonds privés, ne peut condamner que des Africains noirs. Après on verra ! Il s’agit de rappeler la sacro-sainte non-ingérence dans les affaires intérieures de l’Afrique.
3. De l’OUA, à l’UA, puis à l’AA: Que du réductionnisme !
En réalité, pour sortir des ces contradictions internes, l’Union africaine, quels que soient ses dirigeants, préfère encore le principe du consensus et des “bons offices” qui permettent d’afficher les grands principes tout en témoignant un respect quasi-religieux aux chefs d’Etat africains, encore souvent considérés comme des citoyens au-dessus de la loi. A ce petit jeu, il est difficile parfois d’arriver à mettre en œuvre les décisions consensuelles. C’est ainsi que la décision de transformer l’Union africaine en Autorité africaine ne deviendra réalité qu’une fois que tous les parlements africains l’auront ratifié. Il n’est pas impossible que certains pays pourraient ne même pas soumettre le texte à leur parlement dont la légitimité reste douteuse ou faire trainer cela dans les méandres de la bureaucratie parlementaire africaine. Le processus de ratification pourrait alors prendre plus que six mois, le temps que le mandat du Guide libyen prenne fin en janvier 2010 (sauf renouvellement pour six mois comme l’avait réussi le Président nigérian Olusegun Obasanjo en son temps) pour que certains dirigeants africains “respirent enfin”. Est-ce à dire qu’une fois que le Guide libyen ne sera plus en exercice, toute cette architecture institutionnelle pourrait être remise en cause ? Certains dirigeants africains, en privé, ne l’excluent pas mais ne seront pas les premiers à prendre l’initiative… Le courage manquerait-il donc en Afrique ?
Les mauvaises langues disent déjà que de l’OUA (Organisation de l’Union africaine), les chefs d’Etat ont tronqué le O pour organisation, pour adopter l’UA (union africaine)… Aujourd’hui, en tronquant le U pour union, que restera-t-il de l’AA, la nouvelle autorité africaine en attente de ratification par les parlements nationaux. Certains auraient préféré un processus cumulatif, mais il est plus question de réductionnisme dans les attributions effectives puisque les chefs d’Etat, dans leur grande majorité, ne sont pas véritablement intéressés pour céder un pouce de leurs prérogatives nationales.
Contrairement à ce qui semble circuler, les propositions de modification institutionnelles contenues dans le rapport de la Commission de l’UA ont été adoptées. Il s’agit notamment de la création d’un poste de président et de vice-président avec au moins huit secrétaires (ii) de l’Autorité africaine. Le Guide avait souhaité qu’une commission devienne une structure spéciale en charge de la sécurité collective, de la défense du continent et des affaires étrangères. Cela devrait permettre à l’Afrique de parler d’une seule voix sur ces sujets. Ces postes seraient dotés de plus de pouvoir. Il a aussi été question de restructurer le poste de commissaire en associant peut-être industrialisation, le commerce et la coopération internationale avec la création d’un secrétariat au niveau de l’autorité africaine, secrétariat qui couvrirait aussi le NEPAD, le nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique. Il est donc en fait question d’une certaine rationalisation des fonctions, un premier pas pour s’éloigner un peu du mimétisme avec l’architecture de l’Union européenne.
4. Autorité africaine : vers un gouvernement continental de transition
Bref, l’Afrique est en train d’avancer à son rythme, généralement très lent en tentant de faire plus référence aux principes qu’à l’autoritarisme d’antan. La résistance de certains contribue à ralentir le mouvement, affaiblissant d’autant le pouvoir de l’ex-commission de l’Union africaine. Il n’a pas été précisé si les personnalités qui occupent les postes de commissaire actuellement seront “transférées” automatiquement sur les postes de secrétaire de l’Autorité africaine ou si de nouvelles personnalités seront proposées. Comme ces “conciliabules” risquent aussi de prendre du temps et, qu’entretemps, les parlements africains devront adopter la décision des chefs d’Etat, il semble que l’Autorité africaine, à l’image de la démocratie sur le continent, a opté pour un gouvernement continental de transition, sans le dire. Il faut espérer que tout ceci évolue vers plus de transparence afin de permettre aux citoyens africains y compris ceux de la Diaspora d’avaliser (ou pas) les décisions des chefs d’Etat.
Car après tout, l’Afrique pourrait innover en choisissant de faire élire ses représentants au niveau continental au lieu que cela ne soit de simples représentants de chefs d’Etat qui viennent parfois poursuivre des missions nationales au niveau supranational. Au-delà de tout ceci, la question du financement du budget de l’Autorité africaine et surtout sa régularité et sa lisibilité ne semble pas avoir été abordée. Les pays africains disposant d’une marge confortable au plan budgétaire pourraient en fin de compte finir par imposer leur loi… Est-ce cela la dictature des hydrocarbures dont parlaient quelques délégués? Peut-être ! Mais en ne prenant pas clairement position sur le débat quant à leurs responsabilités collectives dans leur incapacité à réussir à nourrir décemment les Africains et donc à créer des richesses au niveau du secteur agricole, ils ont discrètement constaté que les 3 % – 4 % de leurs budgets nationaux consacrés à l’agriculture sans transformation, sans sécurité alimentaire sont bien insuffisants.
Comme personne n’est fautif, il importe d’afficher la bonne volonté, celle consistant à promettre de développer les capacités productives avec et pour le monde rural. Le Président Obama ainsi que ses pairs du G8 l’ont bien compris quand, collectivement, ils font état du non-respect de leur promesse d’aide financière. Mais la nouvelle approche est “intelligente” : il est question d’évoluer de “l’aide alimentaire” au soutien au fermier/agriculteur (iii) afin de lui rendre sa dignité et lui permettre de créer des richesses sans intervention intempestive de l’Etat patrimonial. Les Chefs d’Etat africains pourraient s’en inspirer et enlever les taxes sur les équipements et machines agricoles, neufs et d’occasion, que la Diaspora tente d’envoyer sans succès pour développer les capacités productives du monde agricole en Afrique.YEA.
(i) Yves Ekoué Amaïzo, L’Afrique est-elle incapable de s’unir. Lever l’intangibilité des frontières et opter pour un passeport commun, avec une préface du Prof. Joseph Ki-Zerbo, collection “interdépendance africaine”, éditions l’Harmattan, Paris, 2002, p. 624.
(ii) Il s’agit de Secrétaires de l’Autorité africaine, à l’image des secrétaires d’Etat aux Etats-Unis sauf que l’infrastructure administratif et le budget correspond est légèrement différent en Afrique.
(iii) Javier Blas, “G8 shifts focus from food aid to farming”, in Financial Times, 6 juillet 2009, visité le 7 juillet 2009 sur < http://www.ft.com/cms/s/0/60720902-6992-11de-bc9f-00144feabdc0.html>