C’est la première fois dans l’histoire du Ghana indépendant qu’un vice-président, qui a échoué par deux fois au cours des élections présidentielles précédentes, devient Président à la faveur des élections démocratiques du 28 décembre 2008. Celles-ci ont vu la victoire du John Atta Mills, candidat du congrès démocratique national (National Democratic Congress, NDC), avec 50,23 % des voix contre Nana Akufo-Addo du Nouveau Parti Patriotique (New Patriotic Party, NPP). Pour clarifier les idées, le NDC est le parti de l’ex-Chef d’Etat Jerry Rawlings et le NPP, celui du Président sortant, John Kufuor. Avec une démocratie exemplaire dotée d’un professeur comme Président, il ne faut donc s’étonner de la mise en application de “bonnes pratiques” et de la promotion de l’éthique.
1. Rationaliser les dépenses et promouvoir l’éthique
Alors que les dépenses de l’Etat ghanéen s’élevaient à 27,8 % du produit intérieur brut (PIB) entre 1997 et 2002 et que l’administration Kufuor a fait exploser les dépenses atteignant 40,9 % du PIB en 2008, bien au-delà du budget prévu à cet effet, le nouveau gouvernement n’avait pas d’autres choix que la rigueur surtout que les recettes publiques hors dons stagnaient à 22,8 % du PIB en 2008. John Atta-Mills a donc réduit le nombre de postes ministériels de 27 à 23 et a rappelé qu’un frein sera mis aux dépenses de l’Etat. Les prévisions de dépenses publiques pour 2009 sont estimées autour de 34,6 % et témoignent de la volonté des dirigeants du pays d’en faire une référence, non pas seulement sur le plan de la démocratie, mais aussi sur le plan de la gouvernance économique.
Le solde budgétaire global hors dons de l’administration centrale est passé de -10,9 % du PIB en 2004 à ‑18,1 % en 2008 alors que la moyenne de la zone franc était de 2,9 % en 2008. J. Kufuor a donc largement endetté le pays et le nouveau Président tente de ramener ce chiffre à ‑12,2 % en 2009. La zone franc en parallèle risque de voir son solde budgétaire global hors dons se dégrader pour passer à -4,1 % en 2009. Avec les dons, le tableau est moins sombre. Le solde budgétaire global dons compris du Ghana devrait passer de -13,5 % en 2008 à -6,8 % en 2009 et la zone franc de 4,6 % à -2,0 % pour les mêmes années.
2. Risques limités et résistance à la crise
Le Ghana fait partie des pays africains qui résistent bien aux conséquences de la crise financière. La croissance du PIB réel en constante évolution entre 1997-2002 avec 4,3 % a atteint le chiffre record de 7,2 % en 2008 au départ de J. Kufuor. Il passera en 2009 à 4,5 % pour se stabiliser autour de 4,7 % en 2010. L’investissement total en 2008 s’élevait à 34,6 % du PIB et fléchira légèrement en 2009 à 29,1 % pour remonter à 35,3 % du PIB en 2010 alors que pour l’Afrique subsaharienne, il stagnera autour de 23,7 % en 2009 et 23,3 % en 2010. Le Ghana est donc bien armé pour sortir plus rapidement de la crise économique malgré une inflation (prix à la consommation) qui a atteint 16,5 % en 2008 et que l’actuel gouvernement espère ramener autour de 14,6 % puis 7,6 % en 2010. Une des explications à l’honneur du gouvernement Kufuor est que les prêts improductifs du pays ont chuté entre 2004 et 2007 passant respectivement d’environ 16 % du montant brut des prêts sur les marchés émergents et pionniers à 8,5 %. Cette politique de désengagement prudente a permis de réduire les turbulences occasionnées par la crise financière.
Rappelons que plus de 55 % des actifs bancaires sont détenus par les banques étrangères au Ghana. Il s’agit en l’occurrence de la Barclays Bank (Royaume Uni), de la Standard Chartered Bank (Royaume Uni) et de la SSB Bank (France). Cet état de fait permet au Ghana d’afficher un solde positif des créances nettes des banques auprès de la Banque des règlements internationaux à la fin septembre 2008 de près de 4,5 %, légèrement en dessous de la Namibie avec 5 % alors que tous les autres pays africains affichent un solde négatif. C’est incontestablement un signe de bonne gouvernance. Cela ne manquera pas d’avoir des résultats positifs sur la notation-risque du Ghana et surtout sur sa capacité à emprunter directement sur les marchés des capitaux sans systématiquement passer par le Fond monétaire international.
Le seul risque est que les banques sous contrôle étranger décident de rapatrier une partie des capitaux si les maisons mères optent pour une réduction de leur ratio d’endettement ou carrément choisissent de limiter les activités de leurs filiales locales en Afrique subsaharienne. Cela pourrait conduire à une contraction importante du crédit et créer des problèmes de refinancement pour le secteur productif. Ce risque est, malgré tout, limité car les banques locales ont été rentables et ne représentent qu’un pourcentage faible des actifs des banques mères. Le risque d’une chaîne de réaction négative entre l’économie réelle et le secteur financier est limité et la diminution des liquidités en provenance de l’extérieur sera neutralisée par l’exemplarité de la démonstration d’une démocratie apaisée et une stabilité renouvelée dans le pays.
Les risques liés aux déséquilibres budgétaires devraient être neutralisés par la volonté de rationalisation des dépenses budgétaires de l’Administration Atta-Mills.
Reste le risque de la volatilité accrue du taux de change. Le Ghana a connu une appréciation régulière des taux de change effectifs réels. La moyenne annuelle, mesurée à partir d’un indice équivalent à 100 en l’an 2000, a évolué de 100,9 en 2003 à 118,1 en 2008. Les termes de l’échange sur la base du même indice (100 en l’an 2000) se sont légèrement détériorés passant de 127,2 en 2003 à 123,1 en 2008. Les prévisions du FMI sont pourtant très optimistes avec une appréciation record en 2009 de 145,4 qui se stabiliserait en 2010 à 137,1. Le Ghana inspire ainsi la confiance. C’est donc bien le pays africain où il faut dorénavant investir sur le long terme notamment dans le domaine des infrastructures (routes, ponts, chemin de fer tout en facilitant les accès aux ressources minières) même si le précédent gouvernement Kufuor a puisé dans les réserves faisant passer le nombre de mois d’importations de biens et services de 3,2 en 2007 à 1,7 en 2008. L’actuel gouvernement espère corriger cet état de fait, malgré la crise, en remontant les réserves en 2009 à 2,2 mois d’importations de biens et de services, puis à 2,5 en 2010.
3. Seconde indépendance budgétaire en 2010 : Ethique et pétrole
La balance commerciale s’est détériorée au cours de la dernière décennie pour atteindre 30,9 % du PIB en 2008 avec un léger mieux pour 2009 autour de -22,7 % du PIB et une rechute en 2010 avec -25,6 % du PIB. Le Ghana pourrait représenter un pays intéressant pour les exportateurs français si les pratiques de compétitivité et de transparence étaient considérées comme cruciales, à la différence de ce qui se passe dans les pays francophones. Faut-il rappeler que les importations du Ghana de la France en 2007 s’élevaient à 3,9 % du total des importations alors que les exportations du Ghana vers la France étaient de 6,4 % du total des exportations pour la même année.
Si l’on analyse la structure des exportations, 43,6 % sont des produits agricoles, 20,7 % dans le secteur industriel et seulement 2,5 % dans le secteur minier et hydrocarbures. Tout ceci risque d’être bouleversé dès 2010 avec la découverte en juin 2007 de pétrole offshore par les sociétés américaine Kosmos Energy et britannique Tullow Oil près de Seknodi-Takoradi, 4e grande ville du pays situé à 240 km d’Accra la capitale. Il est prévu une exploitation de 120.000 barils par jour (b/j) dès 2010 qui devra doubler en 5 ans. Cela fera du Ghana, non plus un simple pays émergent, mais un pays où la marge de manœuvre budgétaire, et donc politique du Gouvernement, devrait permettre de soutenir toutes les initiatives de création de richesses et de capacités productives endogènes. Ainsi, le Professeur Atta-Mills pourrait engranger les bénéfices d’une alternance réussie et ceux d’une croissance économique partagée soutenue par l’Etat, le principal employeur du pays.
Le seul vrai problème demeure la vitesse de mise en œuvre de la politique gouvernementale puisque le Président Atta-Mills ne dispose au parlement que de 116 députés du MPP sur un nombre total de 230. La plupart des programmes risquent de connaître des retards puisqu’une majorité courte avec une voix ne suffit pas en principe pour faire passer des réformes ambitieuses rapidement.
Mais les décisions récentes du Président sanctionnant des membres de son parti pour des présomptions de corruption semblent indiquer que l’on s’achemine vers une politique éthique de type Tolérance zéro pour la corruption. En février 2009, J. Atta-Mills a rejeté la nomination d’un membre éminent de son propre parti le NDC en la personne de Mr Moses Asaga comme ministre des ressources hydrauliques, de l’eau et de la construction. Ce dernier serait accusé d’avoir effectué des paiements de complaisance de plus de 20 millions de $US à des collègues parlementaires à partir des comptes de l’Etat sans en informer sa hiérarchie. De même, Mr. Daniel Charles Gyimah, le Directeur Général de Banque nationale d’investissement (National Investment Bank, NIB), a été arrêté par le Bureau national d’investigation pour avoir fait perdre environ 60 million de $US à l’Etat. Il aurait utilisé la NIB pour garantir des transactions financières qui échappaient aux contrôleurs externes. Mr. Gyimah, étant un membre influent du parti d’opposition NPP, beaucoup ont cru à un retour de la chasse aux sorcières, puisque c’est ce que le NPP avait fait à des membres du NDC lors des premiers mois d’investiture de l’ex-Président Kufuor.
En réalité, toute personne qui douterait de la volonté de l’actuel Président de renforcer les pratiques éthiques afin d’améliorer la crédibilité de l’environnement des affaires au Ghana devrait revoir ses positions. Le Ghana va continuer sa stratégie de développement basé sur l’économie de marché en s’assurant que le Gouvernement travaillera en toute honnêteté et transparence. La structure bicéphale à l’américaine depuis le 7 janvier 2009 avec un Président et un vice-président, John Dramani Mahama, devrait assurer une meilleure gouvernance par objectifs du pouvoir. La responsabilité individuelle des agents de l’Etat est un point non discutable pour le Président. C’est donc bien le secteur public qui va donner l’exemple comme au temps d’un ancien Président de la République, Jerry Rawlings.
4. En attendant de rattraper la République de Corée
Il reste à constater la dépréciation importante de la monnaie nationale, le cedi, en 2008. Celle-ci est liée à la gestion de fin de pouvoir de l’Administration Kufuor. En effet, entre janvier 2008 et janvier 2009, le cedi s’est déprécié de 22,9 % par rapport au dollar américain, 19,1 % par rapport à l’Euro alors qu’il s’est apprécié de 7,1 % par rapport à la Livre Sterling. Avec la rationalisation des dépenses publiques, le retour d’une volonté de soutenir la croissance économique et une crise économique dont l’impact limité reste malgré tout perceptible, l’année 2009 devrait rester difficile avec peut-être une poursuite de la dépréciation par rapport au $US et à l’Euro. Mais dès 2010 avec l’amélioration du solde budgétaire grâce au pétrole, les efforts d’austérité et de réajustement intelligents de l’économie ghanéenne devraient commencer à porter leurs fruits et la monnaie devrait s’apprécier substantiellement.
Avec donc plusieurs années de retard, le Ghana que l’on compare souvent à la Corée du Sud pour avoir approximativement le même niveau en 1962, devrait enfin réunir les conditions pour un véritable décollage vers le statut de pays intermédiaire. En comparaison, la répartition des exportations coréennes en 2007 est complètement concentrée sur le secteur manufacturier avec 88,9 %, 9,1 % pour les produits miniers et hydrocarbures et un petit 1,7 % dans le secteur agricole. Le rattrapage n’est pas pour demain entre ces deux pays. Néanmoins pour le Ghana, l’énigme demeure de savoir si le PIB par habitant suivra puisqu’il est estimé à 343 $US (prix de 2000) et devrait, d’après le FMI, évoluer graduellement, passant de 349 $US par habitant en 2009 et 357 $US par habitant en 2010. Des perspectives encourageantes donc !
Dr. Yves Ekoué Amaïzo
En tant que journaliste correspondant pour la Lettre Risques Internationaux, l’article suivants a fait l’objet de publication. Il s’agit d’une publication de Nord-Sud Expert (sur papier et en ligne et uniquement sur abonnement), voir www.risques-internationaux.com. Cette publication est spécialisée dans l’analyse du “Risque-pays” des marchés émergents, c’est un bi-mensuel.
FMI, Perspectives économiques régionales. Afrique subsaharienne, avril 2009, Washington D.C., p.81.
Franklin Cudjoe, “Le Ghana sur la bonne voie ?”, in Afrik.com, 4 février 2009, vu le 12 mai 2009 sur <http://www.afrik.com/article16200.html>
EIU, Country report Ghana, March 2009, p. 17.
WTO, Trade profiles 2008, Ghana, p. 69.
Jeune Afrique, L’Etat de l’Afrique 2009, Hors série, n. 21, “Ghana”, p. 126.