Il est quasiment sûr aujourd’hui que la conjoncture mondiale va se dégrader en 2009 et 2010 avec un taux de croissance mondial largement en dessous des 2,2 % annoncés par le Fonds monétaire international [1]. Les conséquences sur l’Afrique seront moins sensibles sur les économies pétrolières africaines ou les grands exportateurs de matières premières pour lesquelles les prix n’auront pas chuté.
Pour les autres, c’est une période d’incertitudes, avec paradoxalement, de nouveaux risques comme l’augmentation des interventions de l’armée dans la vie politique, des crises sociales et des grèves liées aux inégalités, l’injustice et à la corruption, une recrudescence des liens bilatéraux avec l’Occident aux dépens de l’intégration régionale africaine. Ceci peut déboucher sur une paralysie des intentions de relance des économies africaines par le soutien au pouvoir d’achat et le paiement effectif de la dette intérieure lesquels pourtant permettent de venir en appui aux petites et moyennes entreprises et industries africaines y compris celles opérant dans l’artisanat et dans le tourisme.
1. Ne plus hiberner “au soleil” !
Alors que la croissance économique africaine a, bon an mal an, soutenu la croissance mondiale, les dirigeants africains ne peuvent plus continuer à hiberner “au soleil”. Ils ne peuvent plus faire le dos rond face à une nouvelle crise économique en formation qui risque de se transformer en opportunité pour ceux des pays qui font reposer leur démocratie économique sur la régulation, la transparence et l’éthique. Il ne s’agit pas de relâcher les efforts de bonne gouvernance en augmentant le déficit public mais plutôt de considérer la crise financière occidentale comme une opportunité pour revoir les arbitrages budgétaires et relancer la demande privée africaine. Pour ce faire, les États africains ne peuvent plus se contenter de jouer sur les outils monétaires et budgétaires nationaux, mais doivent s’organiser au niveau supranational et continental pour signer un pacte de soutien au pouvoir d’achat afin d’opter et d’organiser enfin collectivement les processus permettant d’aboutir à de la croissance économique partagée.
Une confiance retrouvée entre les dirigeants et les populations est indispensable. Cela suppose des changements tels que : la nécessaire réforme de l’accès au crédit, la révision de la conception laxiste des délais de paiement en Afrique, la volonté réelle d’honorer la dette intérieure comme partie intégrante de la relance économique, la relance budgétaire axée sur le développement des capacités productives et de la productivité agricole, l’investissement dans les infrastructures et l’organisation logistique. A l’instar des pays du G 20, l’Afrique ne peut faire l’impasse sur une relance budgétaire sans s’appuyer sur les surplus dégagés sur le continent y compris ceux des investisseurs étrangers. Bref, c’est d’une solidarité nouvelle dont l’Afrique a besoin pour faire face à la crise économique. A défaut, l’Afrique aura hiberné pendant la crise financière occidentale laquelle ne restera pas sans conséquences fâcheuses sur les économies africaines.
2. L’augmentation du chômage en Afrique en 2009
Avec environ 210 millions de sans emplois dans le monde en 2009, l’Organisation internationale du Travail prévoit plus de 20 millions de chômeurs officiels rien que pour cette année avec un taux d’exclusion très élevé chez les moins de 24 ans. En Afrique, avec l’instabilité du travail dans le secteur informel, les conséquences de la crise financière vont aggraver la fracture sociale tout en contribuant à l’augmentation de la précarité de l’emploi. La conséquence directe sera une augmentation de la flexibilité non sollicitée dans le travail, et en définitive, un recul sérieux du travail décent et du respect des droits acquis des employés. La 2e conférence entre les partenaires sociaux organisée conjointement par l’OIT et l’Union africaine à Ouagadougou au cours du mois de février ne manquera certainement pas de rappeler l’acuité de la situation sans nécessairement y apporter des remèdes. Les efforts devront commencer au niveau de l’État et des partenaires sociaux eux-mêmes.
Il faudra nécessairement organiser des assemblées annuelles quadripartites entre État, patronat, actionnaires et représentants des employés pour se mettre d’accord sur les concessions et avancées à réaliser au cours de l’année et se revoir chaque année ou plus souvent pour faire respecter les engagements pris et les faire évoluer. Mais tout ceci n’a pas de sens si l’Afrique continue à négliger systématiquement la production industrielle alors que tous les chefs d’État africains ont approuvé en 2004 une stratégie commune de développement des capacités productives en Afrique. Faut-il rappeler que c’est sur les critères de croissance négative consécutive de trois trimestres de la production industrielle qu’une économie est déclarée en récession ? Malgré ces deux préceptes, la sortie de crise pour l’Afrique risque de prendre du temps et devra être simplement intégrée dans les politiques de croissance accélérée et partagée. A défaut, c’est bien à une augmentation du chômage officiel et officieux que l’on va assister en 2009. Les banques opérant en Afrique devraient pouvoir bénéficier d’une forme de garantie des États afin de les amener à desserrer l’étau du crédit et à assurer, grâce à la sous-traitance, un système d’accompagnement par des sociétés de consultants locaux afin d’assurer un taux de succès plus important des affaires et projets privilégiant l’économie de proximité.
La production industrielle mondiale est en chute libre depuis près de quatre trimestres dans les pays riches avec comme conséquence un taux record de chômage prévu en 2009. Cette récession du secteur industriel devrait rappeler à l’Afrique que le développement durable ne peut se faire sans le développement industriel. Aussi, le développement des capacités productives et la production manufacturière fondée sur la transformation et la diversification les secteurs productifs où l’Afrique présente des avantages compétitifs doivent redevenir le moteur de la croissance de l’économie africaine. C’est pourtant à partir d’un minimum d’environ 17 % de valeur ajoutée manufacturière dans le produit intérieur brut que les économies africaines pourront certainement contribuer à créer et partager de la richesse et en conséquence réduire la pauvreté de manière pérenne avec des occupations et des emplois décents.
3. Revaloriser la responsabilité individuelle
La contractualisation de l’activité mondiale va limiter les demandes en provenance de l’Afrique. La perte de pouvoir d’achat des populations et la détresse des jeunes, avec ou sans diplômes, risquent de devenir une bombe à retardement pour des dirigeants africains qui n’ont pas, pour la plupart, pris la mesure des nouveaux enjeux et de leur inadaptabilité à faire preuve d’audace et d’innovation au service des populations. Les rares usines africaines risquent de tourner en deçà de leur capacité de production de croisière, le tourisme pourrait en retour stagner du fait de l’insécurité et de l’imprévisibilité grandissante en Afrique alors que le pouvoir d’achat fond chez les clients traditionnels. Le paquet fiscal qui aurait pu être espéré d’une industrie florissante en Afrique, mais détenue pour l’essentiel par des non-Africains, suppose une anticipation et une volonté de bâtir pour les générations futures. Malheureusement, la situation actuelle se caractérise plus par des engagements budgétaires valorisant le surendettement avec un report quasi-systématique sur les Africains de demain dont le péché originel risque d’être endettés avant même de naître.
Aussi, la contraction profonde des économies riches au cours du premier trimestre 2009 devrait faire réagir l’Afrique. Il n’est donc plus question de tergiverser sur le soutien à apporter aux entrepreneurs locaux et ingénieux. Il faut simplement les soutenir et les organiser en réseaux d’affaires pour faire face à la compétition mondiale. C’est de pragmatisme économique dont il est question ici. Les dogmes de l’économie du laisser-faire reposant uniquement sur des politiques monétaristes (école de Milton Friedman), ou des ajustements budgétaires conçus comme des gouffres sans fin (mauvaise assimilation de la pensée de John Maynard Keynes) sont à proscrire. Les défaillances des marchés ne peuvent faire oublier qu’il faut des formes nouvelles d’économie du marché où le volet social va de paire avec la compétition régulée. Les dirigeants africains doivent oublier les vertus de l’État minimaliste prônées par des institutions outre atlantiques. Ils doivent au contraire prendre conscience que la part de leur responsabilité individuelle, actuellement protégée par le statut diplomatique, reste souvent écrasante dans le sort réservé aux populations africaines. Les dirigeants africains devraient opter pour un Etat social régulé et rompre avec les délégations pyramidales du pouvoir où le sommet n’est jamais responsable, ni coupable.
4. Priorité aux capacités productives
L’économie doit redevenir productive et être fondée sur la liberté d’agir des individus au service des populations. Les économies de prédation à sens unique ne pourront résister longtemps aux conséquences d’une crise multiforme qui accentue les inégalités. Les a priori idéologiques, eux aussi venus d’ailleurs, doivent céder face à des formes de résolution des crises économiques, à partir de l’originalité de pratiques africaines progressistes qui s’enracinent dans une tradition non rétrograde. L’Afrique ne peut plus faire l’impasse sur son industrialisation au risque de ne pas saisir l’opportunité que représente la crise financière dont l’Occident s’est rendu responsable. Le niveau élevé de la Diaspora africaine et les mutations des nouvelles générations décidées à en découdre avec leurs aînés bien peu audacieux conduiront nécessairement à une révision des rapports capitalistes entre l’État, les actionnaires, les partenaires sociaux et les employés vers plus d’humanité.
L’Afrique devra s’en donner les moyens en utilisant son capital humain et ses atouts en ressources naturelles pour entrer de plein pied dans l’industrialisation. Les dirigeants africains devraient profiter de cette crise venue d’ailleurs pour ne plus vivre sur le dos des générations futures en valorisant le travail, l’anticipation, l’interdépendance, les capacités productives et l’organisation en réseaux afin de bâtir des complémentarités avec la complicité active de la diversité plurielle des Africains. Si la corruption et la prédation doivent encore l’emporter, l’effet de levier de l’endettement risque cette fois-ci de devenir un effet massue. Cela ouvrira alors le champ à l’avènement, non plus à des États africains en défaillance, mais bel et bien à des États en situation de banqueroute du fait d’arbitrages hasardeux des dirigeants, pris dans les sollicitations alléchantes au plan individuel de certains acteurs transnationaux qui font de l’éthique et les populations africaines, une priorité seconde. Le Ghana avec sa démocratie politique renouvelée semble avoir le profil nécessaire pour organiser et réussir une démocratie économique au service des populations. D’autres pays africains peuvent lui emboîter le pas.
Dr. Yves Ekoué Amaïzo
Directeur du Think Tank “Afrology”
Groupe de réflexion, d’action et d’influence
7 janvier 2009
Note :
1. IMF, WEO, November 2007