Sur le continent africain, la plupart des citoyens n’ont pas à leur tête un dirigeant qui représente la “vérité des urnes”, encore faut-il qu’il y ait eu des élections libres et transparentes sans annonces unilatérales du pouvoir en place. Aussi, en l’absence d’un “paysage politique sincère”, il n’est pas inutile de rappeler les liens parfois insoupçonnés entre l’actuelle crise alimentaire et la démocratie en Afrique.
Un paradoxe veut que le nombre de tracteurs pour 100 km2 de terre arable a chuté en Afrique subsaharienne entre 1990-92 et 2001-03 de 19 à 13 alors qu’il est passé pour la même période de 115 à 142 pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, de 63 à 89 pour l’Asie région est et pacifique, de 123 à 123 pour l’Amérique latine et les Caraïbes et enfin de 992 à 1002 dans l’Union européenne de l’époque [1] . Donc le paysan africain n’a en principe pas de tracteur et quand il en a, le rapport entre lui et son homologue européen est de 1 à 100. La crise alimentaire en Afrique est d’abord un problème de productivité, de conservation et de commercialisation des récoltes en Afrique. L’orientation du “tout exportation” choisie ou imposée selon l’angle d’analyse, est venue aggraver une situation de dysfonctionnement en discriminant entre produits vivriers et produits d’exportation.
1. Les Africains choisis [2]
C’est donc toute la chaîne décisionnelle en Afrique qu’il convient de revisiter pour comprendre les nouvelles dépendances et les absences d’anticipation des gouvernements et des populations face à la problématique du management de la faim. Les interférences dans les économies africaines des anciennes métropoles, mais aussi des grands pays importateurs de matières premières africaines comme le pétrole ou l’uranium, vitales pour leurs économies productivistes, se sont multipliées. Du reste, la désignation d’un dirigeant africain ne dépend plus uniquement des élections (transparentes ou pas) qui se déroulent en Afrique. Ces élections tendent à favoriser ceux qui feront le moins de problèmes à ceux qui estiment défendre leurs intérêts avant ceux des populations africaines.
Le Kenya et le Zimbabwe n’échappent pas à cette règle. En suivant la géographie des crises alimentaires en Afrique, on s’aperçoit que c’est dans les pays francophones qu’elle a été le plus aiguë au point qu’Haïti qui n’est pas en Afrique n’a pas échappé à la règle. C’est aussi dans les pays francophones que le système de vassalisation du pouvoir est le mieux “huilé” où certains dirigeants du pré-carré politico-économico-financier ont choisi d’identifier des Africains pour leur conserver leurs intérêts en Afrique, et ce par tous les moyens. Il va de soi que cette opération n’est pas sans contreparties. Cela ne concerne pas seulement la sphère politique mais tous les niveaux où des décisions et des influences peuvent s’opérer. Avec le soutien actif ou le silence religieux d’une certaine élite africaine, il n’est pas étonnant de surprendre des relais médiatiques[3] jouer le jeu contre de l’argent. De la sorte, les découpages électoraux et les dysfonctionnement de plus en plus institutionnalisés grâce à des retards douteux dans l’organisation, le comptage, la fausse informatisation et l’annonce des résultats électoraux permettent de faire émerger des personnalités et des équipes dirigeantes en Afrique aptes à défendre les intérêts des puissances influentes extérieures par des “Africains choisis” aux dépens de ceux des populations sans voix. La compétence ne joue presque plus puisque cette compétence peut être sous-traitée[4] à l’extérieur, télécommandée de l’extérieur, ou les deux à la fois. Que les personnalités choisies soient brillantes ou médiocres, elles ont ceci en commun qu’elles sont indubitablement dociles et maniables. C’est donc tout le débat de l’indépendance, de l’autonomie et de l’autodétermination des peuples qui apparaît en filigrane de l’actuelle crise alimentaire conjoncturelle.
Ainsi, l’impossible autonomie alimentaire des Africains tend à favoriser une certaine mendicité collective des dirigeants africains, même si beaucoup s’en défendent. Du coup, les responsabilités partagées tendent à se métamorphoser en des irresponsabilités globalisées. Est-ce que les nouvelles formes de la post-colonisation économique ne s’organisent pas autour de la non-représentation de la réalité politique des sociétés africaines ?
2. L’impossible autonomie alimentaire des Africains
Lorsque George W. Bush a annoncé le 1er mai 2008 qu’il souhaite faire approuver par le Congrès américain 770 millions de dollars des Etats Unis ($US), ce qui portera l’aide américaine à 1 milliard de $US, la plupart des pays riches n’ont pas tardé à emboiter le pas en faisant des annonces ou en apportant un soutien financier pour les années à venir. Bref, des promesses qui arrivent dans l’urgence. En réalité, cet argent n’arrive pas directement aux populations africaines. Les institutions bilatérales et multilatérales sont souvent les principales bénéficiaires. Indirectement, une partie des producteurs dans les pays riches en profitent par le jeu des subventions et des facilitations à l’exportation. En réalité, les pays riches et émergents s’aident d’abord en jouant sur le “désespoir des pauvres”. La pauvreté permet de créer des emplois dans les pays riches tout en donnant l’illusion d’une aide “désintéressée” qui tombe bien quand on veut laisser pour la postérité une certaine image du “bon paternaliste” et de la “bonne conscience occidentale”. A ce propos, il n’empêche que les moustiquaires “imprégnées”[5] ne sont pour l’essentiel toujours pas produites avec le coton africain en Afrique… Qui est fou ?
En parallèle, le paradigme qui sous-tend la production mondiale des denrées alimentaires est finalement fondé sur une dénégation de l’autonomie alimentaire pour les pays africains. Si en plus les dirigeants africains les moins responsables ont cru aux conseils venus d’ailleurs en créant des obstacles insurmontables à la productivité agricole notamment :
- en ralentissant l’irrigation, la mécanisation et la biodiversité des espaces agricoles ;
- en oubliant d’organiser la propriété privée dans les zones rurales au profit de tous les citoyens en respectant un équilibre entre les ethnies y compris non dominantes ;
- en laissant sans organisation tout le système de conservation, de transport et de transformation des produits agricoles, ceci en dehors des espaces agglomérés mêlant capacités et capabilités productives ;
- en taxant de manière arbitraire les citoyens des zones rurales ;
- en gelant les solidarités opérationnelles entre les populations des zones rurales du Nord et du Sud, entre celles des pays émergents et des populations africaines.
Bref, on a graduellement tué ce qui restait de l’agriculture de proximité basée sur une productivité des produits vivriers au profit d’une agriculture d’exportation… L’Africain ne mange pas les produits d’exportation que sont le coton, le café et le cacao. Il mange de l’igname, des patates douces, des bananes plantains, des fruits du palmier et du cocotier… Mais de grandes institutions internationales de développement lui ont conseillé de consacrer l’essentiel de ses efforts sur les produits d’exportation, ce qui a eu pour conséquence de sacrifier sur l’autel de la naïveté et de la rentabilité à court terme, des populations rurales et leur environnement. Aujourd’hui, on en arrive même à constater que pour atteindre une certaine productivité agricole en Afrique et face à une productivité par hectare et par habitant faible, la logique du tout export ouvre le champ à la sous-traitance et la gestion des espaces de production agricole à des firmes non africaines qui n’ont aucun intérêt à accorder une priorité aux besoins des populations africaines. C’est ainsi que les haricots verts ou les roses du Kenya sont plus connus dans les pays riches qu’au Kenya. Par contre, les noms des femmes décédées ou incapables de procréer pour avoir absorbé, à de multiples occasions, les produits chimiques déversés dans ces champs, passent par pertes et profits. Les salaires ridicules qu’elles ont reçus n’ont pas permis d’assurer le droit à la santé, encore moins le droit à la formation pour celles qui ont pu avoir des enfants. Bref, les effets collatéraux du mode de production conseillé et “accepté” par les Africains fait problème.
3. Structurer la mendicité collective des Africains ?
Les institutions d’aide et de fourniture de crédit se contentent de résoudre le problème des Africains en organisant en fait un système mondial de mendicité collective. La plupart des dirigeants africains en sont les premiers bénéficiaires car cela permet de faire oublier leur carence en matière de mauvaise gouvernance économique. Les populations africaines ne sont pas pour autant exemptes de tous reproches. Face à la pauvreté et la crise alimentaire, une grande partie d’entre elles, passent de plus en plus de temps dans les structures religieuses qui ne se gênent pas pour faire, à leur façon, un certain lavage des cerveaux, qui fait passer le temps consacré au travail de la terre comme moins valorisant que le temps consacré à essayer d’aller au paradis en ascenseur. En réalité, de nombreuses religions, souvent importées, justifient le fatalisme et demandent aux populations d’accepter leur sort en les propulsant dans l’au-delà (qui est plus loin que le futur). La réalité est que cela contribue à favoriser la non-alternance politique. Il ne faut donc pas s’étonner des soutiens massifs que reçoivent les “sectes” et “religions” politiquement correctes de la part des pouvoirs africains où le concept de l’Etat patrimonial sert de paradigme dogmatique au régime politique.
Lorsque la facture alimentaire arrive et que beaucoup d’Africains ne veulent toujours pas se soucier de comprendre d’où vient ce qu’ils mangent, alors la loi du marché joue à plein. L’agriculture vivrière est purement et simplement sacrifiée… Des champs entiers de produits alimentaires comme l’huile de palme sont été consacrés à produire de l’huile pour les biocarburants, surtout pour les pays riches. La facture des importations des céréales a particulièrement gonflé au cours de la période 2006-2008… En conséquence, réduire la famine émergente par une augmentation unilatérale du commerce international sans revoir les choix prioritaires des Gouvernants africains relève de l’erreur stratégique. Les difficultés des Accords de partenariat économiques et le blocage au niveau des négociations commerciales de l’OMC qui prônent le tout commerce sont des exemples où les “faibles” apprennent à dire NON aux “puissants” en panne de solidarité.
Restructurer les capacités et structures productives accompagnant la production agricole ne doit plus être considéré comme un leurre, mais bien comme une pratique dolosive. En refusant d’en prendre conscience collectivement, les dirigeants africains (politiques comme économiques) sont tous autant responsables de la crise conjoncturelle et structurelle alimentaire sur le continent que les apprentis-sorciers du développement des pays riches. Le manque d’anticipation et le refus de laisser les experts africains indépendants sur la question, notamment ceux de la Diaspora, s’adresser directement aux populations sans passer par la censure locale, devient un problème qui explique aussi la crise alimentaire actuelle. L’essentiel des efforts consentis par les gouvernements et ceux qui prétendent aider touchent à peine 10% des 70% des citoyens africains [6] vivant dans les zones rurales. Ainsi, un continent autosuffisant, qui n’importait pas sa nourriture au moment des indépendances il y a un demi-siècle, est devenu un importateur net de produits alimentaires, non pas simplement conjoncturellement mais structurellement. René Dumont ne nous avait-il pas prévenus que l’Afrique subsaharienne avait mal engagé son développement agricole [7]?
Malgré cela, certaines institutions comme la FAO[8] en charge de l’alimentation viennent de réclamer 1,7 milliard de $US pour les pays touchés par la crise alimentaire afin de soutenir le système agricole africain. Mais plus ces institutions spécialisées des Nations Unies se plaignent, plus la volonté des pays donateurs ressemble à des vœux pieux. Il suffit d’ailleurs de comparer les budgets des pays riches consacrés à l’armement, à la guerre en Afghanistan ou en Irak pour comprendre qu’il ne s’agit pas de solidarité mondiale mais bien de positionnement géopolitique des pays puissants. L’arme alimentaire n’y échappera pas… Tant pis si de nombreux Africains doivent y laisser leur vie et leur bien-être… Après tout, plusieurs rapports ou témoignages, certains gardés secrets, d’autres publiés , n’avaient-ils pas pour titre : “L’Afrique sans les Africains ?”. Comment les Africains s’imaginent-ils l’Afrique sans eux ? En fait, sans les noirs puisque c’est de cela qu’il s’agit en fait !
Les Africains ont-ils simplement conscience que la dépendance économique que cache l’indépendance juridique pourrait conduire à terme à faire d’eux des étrangers sur le propre continent ? S’approprier son indépendance économique commence par la maîtrise de l’autosubsistance alimentaire, le contrôle d’une industrie agro-alimentaire de proximité en attendant l’industrialisation et l’économie d’échelle. Les pays émergents comme le Brésil, la Chine ou l’Inde l’ont démontré. Avec les nouvelles relations entre le continent africain et les pays émergents comme la Chine, l’Inde et le Brésil, il serait opportun de renforcer le troc commercial en vigueur en insistant plus sur les délocalisations, les franchisages des industries de transformation des produits agricoles en Afrique. Cela permettra de transformer sur place les produits agricoles africains que consomment les Africains. La période est propice puisque la population commence à augmenter moins vite (2,3% par an) que le taux de croissance économique en Afrique subsaharienne (en 2007, le produit intérieur brut (PIB) était de 6,6% et le PIB par habitant de 4,2%) … Pourvu que cela dure !
4. Irresponsabilité globalisée et démocratie hypocrite en Afrique
En réalité, les émeutes de la faim en Afrique, accompagnées de répressions sans appel par les agents de sécurité politique en Afrique, ne sont que des signes avant-coureurs d’un refus des populations laissées pour compte d’accepter la duplicité du jeu de la démocratie représentative en Afrique. Cette démocratie là ne les représente pas. Les pays riches qui refusent de s’engager pour mettre un terme à cette hypocrisie sont également responsables sinon complices de cet état de fait.
En refusant de relever rapidement leur contribution au-delà des 0,7% de contribution à l’aide au développement, les pays riches ne sont pas prêts à véritablement soutenir une organisation et une distribution équilibrées de la production agricole dans les pays pauvres. Bien sûr, la corruption des dirigeants des Etats patrimoniaux y est pour beaucoup. Mais cela n’excuse pas la mauvaise stratégie des grandes institutions internationales de développement au service des pays riches et l’irresponsabilité des responsables africains qui ont préféré utiliser la globalisation pour imposer comme source de la croissance économique dans leur programmes de réduction de la pauvreté, l’exportation des produits agricoles et des matières premières pour satisfaire en priorité leur économie. Il faut être clair. Certains ont cru et croient encore que les pauvres n’ont pas de voix, ne réagiront pas et s’ils le font, ils seront rapidement réprimés. C’est ce qui s’est passé en Afrique. De la sorte, lorsque les Africains manifestent contre la vie chère, expression désespérée de leur difficulté à s’alimenter sainement, régulièrement et à prix abordables, le système de répression reprend rapidement le dessus et fait croire à la déstabilisation au sommet de l’Etat. Dans la foulée, certains en profitent pour institutionnaliser leur permanence à la tête de l’Etat en modifiant la constitution comme au Cameroun.
Mais les conseils erronés des pays riches aux dirigeants africains sur la stratégie de développement agricole n’ont pu fonctionner que grâce à l’arme de l’aide ou de l’assistance technique et accessoirement la naïveté ou la corruption des dirigeants africains. Les courroies de transmission que constituent certaines institutions de développement qui ont prises sur les économies africaines, en facilitant l’environnement des affaires pour ceux qui exportent les produits dont ont besoin les pays riches ou émergents, ont permis d’amplifier le phénomène. Certaines organisations non gouvernementales ne sont pas neutres dans cette histoire non plus puisque certaines, sans le vouloir, prennent la place non occupée par les institutions locales. A leur départ par manque de budget, la situation est souvent pire qu’au moment de leur intervention car c’est bien le processus de développement et d’organisation qui a été sous-traité et neutralisé pour la bonne cause. Heureusement, toutes les ONG ne sont pas à la même enseigne.
L’irresponsabilité globalisée reposant sur cette nouvelle forme grandissante de la démocratie hypocrite s’accompagne donc d’irresponsables à la tête des jeunes Etats africains. Le phénomène de la crise alimentaire est plus lourd et mieux réprimé dans les pays qui dépendent encore beaucoup sur le plan budgétaire des ex-métropoles. De là à voir le lien entre conservation du pouvoir, refus de l’alternance au sommet de l’Etat et la crise alimentaire doit se faire. Le maintien stratégique des citoyens africains dans un système de survie alimentaire permanent n’est plus une fatalité. Le fait que ce phénomène peut être contrôlé à distance et par des relais africains locaux est une nouvelle donne qu’il faudra intégrer dans les analyses…
5. Falsifier la réalité politique des sociétés africaines
Que l’on change la Constitution d’un Etat pour rester au pouvoir aussi longtemps que la santé le permet, soit ! Plusieurs pays sont devenus des experts en la matière… De la Tunisie au Cameroun, par exemple. Une autre variante consiste à empêcher les oppositions et la Diaspora à s’exprimer et à réclamer sa place dans le paysage politique réel. Que l’on recompte les voix exprimées au Zimbabwe alors qu’au Kenya, une décision extérieure est venue imposer un gouvernement d’union nationale, soit ! Quand la vérité des urnes n’arrive plus à s’exprimer en Afrique, il ne faut pas s’étonner que les besoins alimentaires des populations sur le plan stratégique et l’indépendance alimentaire soient sacrifiés au profit de la dépendance alimentaire… Or, les campagnes électorales en Afrique s’accompagnent souvent de livraisons importantes de produits alimentaires, souvent des céréales génétiquement modifiées… Ainsi, certains opposants politiques africains se sont vus “éliminés” du processus électoral pour n’avoir pas pu fournir l’équivalent en nombre de bœufs, de moutons, de poulets, de riz et d’ignames dans certains zones rurales, ceci avec la complicité des rois traditionnels. Faut-il rappeler des pays comme le Togo en 2005 et 2007 ? Comment malgré tout ceci, est-il encore possible d’arriver à un cafouillage et dysfonctionnement préjudiciables aux élections municipales, communales et locales comme ce qui s’est passé le 20 avril 2008 au Bénin, un pays qui passait pourtant pour un modèle ? Comment peut-on commander les bulletins de vote une semaine avant le vote au Bénin ? Pourquoi la conservation du pouvoir doit passer par de telles méthodes ?
En filigrane, c’est bien le silence complice des pays puissants et riches qui contribue à faire de la démocratie africaine, une démocratie sans alternance si les candidats ne correspondent pas à ce que les pays riches auraient souhaité… C’est difficile à accepter pourtant c’est de la “real politics”. Démocratie par défaut ? Non ! Démocratie sans alternance !
En parallèle, la croissance économique, censée réduire la pauvreté sans une véritable politique de solidarité en Afrique, se révèle n’être qu’une croissance économique sans création d’emplois. Alors comment l’Afrique peut-elle aller de l’avant et avoir une vision pour elle-même si comme le dit si bien Anne-Cécile Robert [11] : “Le système politique ne représente plus la réalité du corps social. Il se révèle incapable d’exprimer ce que pensent vraiment les électeurs”. De là à envoyer des émissaires internationaux pour systématiquement organiser des “gouvernements d’union nationale” ingérables et sources de bombes sociales à retardement relève de la falsification de l’autodétermination de la volonté des peuples. Ce nouveau phénomène doit interpeller les “vrais” futurs dirigeants de l’Afrique. Oui, il faut le dire. Tous les dirigeants africains ne défendent pas en priorité les intérêts des populations africaines. Malheureusement, la négritude d’Aimé Césaire ou de Senghor n’est pas un critère d’assistance automatique aux citoyens noirs.
Qui a intérêt à la non-représentation effective de la réalité des sociétés africaines ? Certainement pas les citoyens africains. Faut-il en déduire que le pouvoir ne se partage qu’avec le pouvoir en place et que les alternances non douteuses sont taboues en Afrique ? Au regard de l’histoire électorale récente du Togo [12], la réponse est oui. Au regard du futur du Togo notamment les élections présidentielles de 2010, la réponse reste ouverte puisqu’un savant dosage entre ce qui s’est passé au Kenya et au Zimbabwe arrosé à la sauce francophone pourrait conduire à organiser un système de docilité alimentaire qui risque d’annihiler la culture de combat et d’anticipation chez nombre de candidats à la direction des pays africains. L’éradication de la crise alimentaire risque de converger avec l’émergence d’une démocratie non falsifiée en Afrique.
Dr. Yves Ekoué Amaïzo
Directeur du groupe de réflexion, d’action et d’influence “Afrology”
4 mai 2008
Notes :
1. World Bank, World Development Indicators 2007, Washington, USA, p. 132.
2. Yves Ekoué Amaïzo (sous la direction), La neutralité coupable. Autocensure des Africains. Un frein aux alternatives ?, avec une préface de Abel Goumba et une postface de Godwin Têtê-Adjalogo, « collection Interdépendance africaine », éditions Menaibuc, Paris, 2008 (sortie juin 2008).
3. Christian d’Alayer, Un crime médiatique contre l’Afrique. Les Africains sont-ils tous nuls ?, éditions Le Bord de l’eau, Paris, 2004.
4. André Bellon, Une nouvelle vassalité. Contribution à une histoire politique des années 1980, éditions Mille et une nuits, Paris, 2007.
5. Beaucoup de pays africains se sont vus offerts ces moustiquaires imprégnées comme une aide au développement par les pays riches. Peu d’entre eux ont insisté qu’il serait plus intéressant pour l’Afrique de les produire localement avec du coton africain.
6. D’après le FMI, déjà en 2000, 72% des 1,3 milliards de pauvres vivaient dans les zones rurales, voir http://www.imf.org/external/pubs/ft/weo/2000/02/data/index.htm, Septembre 2000.
7. René Dumont, L’Afrique noire est mal partie, éditions Seuil, Paris, 1962.
8. Voir la carte de la faim de la FAO : http://www.fao.org/es/ess/faostat/foodsecurity/FSMap/map14_fr.htm
9. Antoine Glaser et Stephen Smith, L’Afrique sans les Africains, Paris, éditions Stock, Paris, 1994
10. IMF, Perspectives économiques régionales : Afrique subsaharienne 2008, p. 4 ; voir http://www.imf.org/external/french/pubs/ft/reo/2008/AFR/sreo0408f.pdf
11. Anne-Cécile Robert, « Que s’est-il donc passé le 6 mai 2007 », in Le Monde diplomatique, Mai 2008, p. 3.
12. Des élections présidentielles ont eu lieu en 2005 et législatives en 2007 avec des controverses qui risquent d’émerger lors des prochaines élections présidentielles de 2010. Il s’agira de la suite logique des annonces unilatérales du pouvoir en place bien éloignées de la « vérité des urnes ». La volonté de paix de la population togolaise semble avoir repoussé le vrai duel électoral aux prochaines présidentielles de 2010.