Avec une campagne électorale se terminant le 2 mars 2010 et des élections présidentielles prévues le 4 mars 2010, l’Union africaine a décidé d’envoyer, dès le 28 février 2010, sa mission d’observation que dirigera l’ex-Président du Nigeria, Olusegun Obasanjo. Le passé en termes de transparence électorale de ce Monsieur, Président en exercice de l’Union africaine en 2005, n’a d’égal que sa capacité à légitimer sa paix et son statu quo au Togo. En 2005 lors des élections présidentielles, la force, l’entorse au droit, la douleur et le sang sont passés par pertes et profits afin de maintenir un nouveau “statu quo” au Togo sur la base d’une démocratie orchestrée.
Pour éviter des surprises désagréables dans ce pays du fait du consensus de la honte sur la fraude électorale, il y a lieu aussi que les acteurs de la légitimation de la non-vérité des urnes aussi importants que l’Union européenne, l’Union africaine, la Communauté économique et de développement des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) acceptent enfin de dire la vérité des urnes sortie des élections présidentielles de 2005 au Togo. Se cacher derrière l’obligation de réserve serait aux antipodes du courage politique, et croire que la fausse neutralité peut servir de prescription relèverait simplement du dol[i]. Il ne faudra plus s’étonner de la non-importance accordée à ces institutions quand elles s’organisent pour donner des leçons de démocratie au Togo. Mais une autocritique aiderait le Togo à reconstruire une société de confiance.
1. Obasanjo, au Togo : plusieurs agendas ?
Olusegun Obasanjo était le Président africain le plus influent en 2005 puisqu’il cumulait sur sa casquette, la puissance d’un grand pays qu’est le Nigeria, celui qui influençait l’Union africaine et indirectement la CEDEAO. Il était donc l’instrument politique principal pour faire avaliser les fraudes électorales pour la Présidence du Togo en 2005 puisque les institutions internationales et africaines se sont “alignées” sur ses déclarations qu’il justifiait par la nécessité de “préserver la paix”. Paradoxalement, la nouvelle approche de la communauté internationale consiste à s’aligner sur les positions des institutions sous-régionales et continentales. Certains dirigeants africains l’ont bien compris. Ainsi, en feignant de ne pas s’en apercevoir, la Communauté internationale a indirectement renforcé le poids du “syndicat des Chefs d’Etat africains”, ceux-là même qui ont une définition de la démocratie qui privilégie le statu quo et une forme de gouvernance économique justifiant l’accaparement des capacités productives du pays.
Alors, si Olusegun Obasanjo revient au Togo pour corriger ses erreurs et mettre en veilleuse ses positions personnelles ou télécommandées, ce sera tant mieux. Son image ne pourra que s’améliorer au Togo. Mais s’il vient pour confirmer sa technique de “faiseurs de roi” tant au Nigeria qu’au Togo, alors l’Union africaine, si elle en a le courage, devrait se désolidariser des positions de son Chef de mission d’observation au Togo. On ne change pas une “équipe qui gagne” dit le dicton, sauf que dans le cas togolais, on se demande si c’est bien la démocratie qui a gagné en 2005 avec l’équipe UA-CEDEAO de Olusegun Obasanjo. Par ailleurs, le choix des chefs de mission d’observation africaine ne relève pas d’un processus démocratique, ce qui n’émeut personne d’autant plus que la définition de la démocratie représentative par les chefs d’ Etat africains diffère singulièrement avec les normes internationales. Il est vrai que lorsqu’un pays se propose de financer une mission d’observation et compte tenu des moyens limités de l’UA, le choix d’un chef de mission répond en priorité à ses considérations économiques. La démocratie des riches en Afrique se décline en fonction de la puissance et la capacité de nuisance.
Au Togo, tout va se jouer sur la transparence dans le dépouillement du vote car le peuple togolais a toujours été discipliné en période pré-électorale. Il est d’ailleurs dommage qu’une certaine désinformation officielle s’est graduellement développée faisant de la population togolaise, un peuple à problème dès qu’il y a des élections. C’est faire insulte à la sagesse, au respect de l’autre doublé d’une grande candeur et d’une espérance à toute épreuve de ce peuple. Non, le peuple togolais n’a jamais failli à son devoir électoral. C’est bien la fraude électorale qui est à la base des mécontentements et de l’usurpation-inversion du vote des électeurs togolais. Il faut donc arrêter de s’attaquer au peuple togolais et corriger la source du problème : la fraude électorale et l’usurpation de la vérité des urnes.
Par manque de courage, la Communauté internationale se met à ressembler à la sculpture bien connue des trois singes africains où l’un n’a rien vu, l’autre n’a rien entendu et le troisième refuse de parler. Cette communauté internationale, même en se cachant faussement derrière les déclarations de l’Union africaine et de la CEDEAO, est tout simplement complice de la démocrature au Togo. Les morts et blessés s’en rappelleront lors de témoignages ultimes face à l’Histoire. Mais c’est en suivant les recommandations d’Olusegun Obasanjo en 2005 qui avalisait au Togo la paix des cimetières que les communautés internationale et africaine se sont fourvoyées.
Il faut espérer qu’Obasanjo, l’émissaire d’une Union africaine plus proche des principes en 2010, ne fasse pas preuve d’amnésie. L’Afrique lui donne là l’occasion de corriger ses erreurs, de se faire pardonner. Il rentrerait dans l’Histoire s’il avait le courage de présenter des excuses publiques, ou tout au moins des regrets, aux nombreuses familles togolaises qui ont perdu leurs proches de par sa décision à la tête de la CEDEAO lors des élections présidentielles togolaises de 2005.
La crédibilité de la CEDEAO au Togo est au plus bas depuis cette décision erronée et mensongère d’Obasanjo sur les résultats des urnes. La réputation de l’institution sous-régionale quant à son apport bénéfique pour le peuple togolais a besoin d’être sérieusement corrigée par de nouvelles personnalités dotées d’une éthique sans faille face à la transparence avant, pendant et après les élections. Cette fonction d’observateur devrait revenir de droit à des représentants de la société civile et de la Diaspora. Les chefs d’Etat qui “alignent” l’argent estiment qu’il y a lieu de politiser et surtout qu’ils sont les seuls compétents pour dire une certaine “vérité”.
Lors de la 37ème session ordinaire de la conférence des chefs d’Etats de la CEDEAO du 16 février 2010 à Abuja, Nigeria, le nouveau Président de la Commission de la CEDEAO n’a pas pu être choisi parmi les deux candidats pressentis : le Burkinabé, Kadré Ouedraogo (ancien premier ministre) et le Sénégalais Aziz Sow (ancien ministre et conseiller spécial du Président). L’absence du Président nigérian, Umaru Yar ‘Adua, pour raison de santé a certainement joué. Mais, le vrai problème est bien que le principe du vote démocratique ne fonctionne toujours pas dans le choix des dirigeants, alors le rapport de force et d’influence, y compris en provenance de l’étranger fait office d’ersatz. Cette lutte féroce pour un poste très convoité pour succéder à l’actuel Président, Mohammed Chambas, s’est soldée par la décision typiquement africaine d’un consensus mou, intérimaire et le choix du doyen d’âge qui va conduire un ancien ministre ghanéen des affaires étrangères de 75 ans à terminer le mandat de Chambas prévu pour décembre 2010.
Dire que la CEDEAO souffre d’agilité serait un euphémisme. La CEDEAO n’ose pas devenir démocratique. La lutte entre les “conservateurs” et les “modernistes” au sein de cette institution sous-régionale a véritablement commencé tant au niveau des transferts des pouvoirs du national vers le régional que de la démocratisation du fonctionnement de la CEDEAO. La diversification des profils des dirigeants de cette institutions devraient à terme limité le nombre du personnels politiques africains qui y trouvent une forme de retraites dorées. Tant que le principe de vote à la majorité qualifié ne deviendra pas la règle, il faudra s’attendre à des conciliabules et des tractations qui ne manqueront pas de ternir la réputation de l’institution sous-régionale.
2. La fausse neutralité des communautés internationale et africaine.
Les périodes pré-électorales se sont toujours bien passées au Togo sauf quand il n’y a pas si longtemps, des hommes en treillis vous remettaient un bulletin de vote sans enveloppe et que l’électeur était “sommé” de le mettre dans l’urne sans passer par l’isoloir. Le temps n’est pas si loin quand des hommes en treillis venaient en force piller, détruire ou encore emporter les urnes afin de contribuer à l’inversion des résultats. Avec l’avènement des nouvelles technologies de l’information et de la communication, le temps est venu pour les hommes en treillis de se rendre compte de leur erreur, qu’ils soient en sous-traitance, en télécommande ou travaillant pour leur propre compte. Tout ceci n’est pas Républicain. Toutes ces entorses graves aux procédures électorales sont dorénavant publiques sauf ce qui se passe sous le sceau du secret, de l’obligation de réserve en particulier au niveau de la CENI et de la Cour constitutionnelle au Togo. Le fait que la sécurité des élections ait été confiée à la police et à la gendarmerie nationale suite à des formations adéquates et à des observateurs permet d’espérer que les militaires resteront dans leur casernes au cours de la période postélectorale, surtout lorsque le statut de l’armée semble être résolu et les nouveaux recrutements n’ont pas encore permis de rééquilibrer le côté monolithique de ce corps de l’Etat. Mais c’est surtout les campagnes de sensibilisation nationale et internationale qui ont permis aux militaires de se voir dans le rétroviseur. Il reste à juger sur pièces la police et la gendarmerie dans les jours à venir .
En définitive, la communauté internationale sur avis de la Communauté africaine et celui des chefs d’Etat, ne voit en ces irrégularités, rien de fondamentalement répréhensibles. Cette collusion entre les intérêts des dirigeants africains pour un statu quo et les intérêts du Nord comprenant de plus en plus ceux de la Chine empêchent les alternances politiques dans la sérénité. Comme c’est la fraude qui est à l’origine des “désordres” postélectoraux conduisant à des morts d’hommes, la communauté africaine comme au demeurant la communauté internationale, risque de ne rien trouver de mieux que d’adopter cinq des dispositions qui ont mené à des situations postélectorales conflictuelles :
- faire le mort face à un fichier électoral togolais révisé unilatéralement par le pouvoir mais resté malencontreusement non fiable et peu crédible. L’UE, l’UA et la CEDEAO n’ont pas choisi l’option consistant à suspendre leur contribution au financement des élections togolaises et à celui de la mise à disposition de leurs observateurs[ii]. Cette forme de neutralité est similaire à celle de la Chine sur les droits humains en Afrique ;
- feindre de croire que la population togolaise, dotée d’un sens aigu du civisme, n’est pas capable d’assurer la maîtrise et le bon déroulement de la période pré-électorale, une phase qui n’a jamais posé de problème réel au Togo. Les difficultés viennent de ceux qui ont choisi par le passé de bourrer les urnes au préalable ou de modifier les vrais résultats en faisant disparaître les vrais urnes ou encore de les remplacer par des fausses urnes, bourrées à l’adresse de celui qui considère la fraude comme faisant partie intégrante du processus démocratique de façade. LUE, L’UA et la CEDEAO sortiraient grandies de ce jeu en annonçant les résultats véritables des élections de 2005, résultats que ces organisations ont volontairement “oublié” de publier…
- entourer le dépouillement des voix exprimées d’un halo de séance de “huis clos”, d’arrangements nocturnes y compris ésotériques où des millions de franc CFA changent de portefeuille. En réalité, l’UE, l’UA et la CEDEAO devraient accepter que les résultats provisoires soient proclamés sur les médias immédiatement après le comptage au niveau du bureau de vote s’ils sont acceptés par l’ensemble des parties présentes ayant participé au dépouillement. Les membres des Commissions électorales locales indépendantes (CELI) viendraient procéder à un contrôle de conformité et ne pourraient qu’en cas de divergences, recommander un recomptage sur le champ. Cela éviterait que les CELI ou la Commission électorale nationale indépendante (CENI) ne proclament des résultats non conformes à la vérité des urnes. Là encore, l’UE, l’UA et la CEDEAO ne devraient pas se contenter d’accepter la fausse fatalité en se cachant derrière la non-ingérence ou des assurances reçues des pouvoirs publics togolais. De tels comportements sont de nature à jeter un doute sur la vérité des urnes ou sur la falsification des résultats réels au point de faciliter l’annonce par le pouvoir dominant d’une victoire unilatérale à partir de résultats discordants avec les différents partis d’opposition présents lors du comptage. Le brouillage du comptage est possible au Togo entre le 2 et 4 mars 2010 et le recomptage doit demeurer pour l’UE, L’UA et la CEDEAO la voie de la sagesse pour rétablir la vérité des urnes et la confiance. Choisir la légitimation du statu quo posera le problème de la crédibilité de toutes ces institutions qui viennent aider non pas les populations mais leurs pairs au pouvoir ;
- accepter l’annonce précipitée d’un pays étranger de la victoire d’un candidat sans attendre la fin de toutes les procédures de recours électoral et voir l’UE, l’UA et la CEDEAO en profiter pour très rapidement légitimer le statu quo politique dans ses grandes lignes. C’est oublier que le ou les pays complices de la duplicité sur les résultats des urnes protègent d’abord leurs propres intérêts notamment les contrats léonins signés avec le monde des affaires, ce qui au demeurant souvent contribue à hypothéquer une partie de l’avenir économique du Togo. Si les observateurs de l’Union africaine et de la CEDEAO refont le coup de 2005 en jouant sur la peur des populations face à une évolution chaotique vers une guerre civile hypothétique au Togo, alors il sera encore question pour l’UE d’accepter des résultats non conformes à la volonté des populations ; enfin
- lancer rapidement un processus de réconciliation, d’ouverture, de gouvernement élargi voire de transition non sans créer une certaine zizanie entre les candidats malheureux à l’élection qui voient en perspective les cinq années de vaches maigres qui se profilent à l’horizon. Certains n’hésiteront pas à s’ajuster face au spectre de la pauvreté et des humiliations futures des familles. Celles-ci n’oublient d’ailleurs pas de faire pression sur les candidats et préfèrent voter “la fatalité”. De nombreux électeurs n’hésitent pas à mettre tout ceci sur le compte de la volonté divine alors qu’il s’agit fondamentalement d’un rapport de force et de la résultante des comportements collectifs du peuple togolais face à l’argent, le pouvoir et la gloire.
Le vrai malheur au Togo est que ce pays a réussi a créer une élite dirigeante qui considère que la volonté d’une population à exiger un mieux-être doit être considérée comme impossible. Le besoin de faire rendre des comptes par la sanction électorale, aussi ! Autrement dit, c’est bien l’alternance au sommet du pouvoir que l’on tente de neutraliser par une démocratie falsifiée grâce à tout un enchevêtrement de réseaux nationaux, internationaux et ésotériques. Le mieux-être des populations n’est plus considéré comme une priorité sauf à l’approche des élections où le gouvernement se comporte comme une organisation non gouvernementale classique qui distribue sans s’assurer de la pérennisation de son action tout en gênant fortement les lois du marché local. Mais n’est-ce pas en définitive l’indépendance et l’autonomie des populations togolaises qui sont en jeu ? La tripolarisation et les tractations postélectorales ne suffiront pas pour trouver le Président de tous les Togolais. Il faudra autre chose qui dépasse l’entendement humain. L’hégémonie du statu quo politique ne pourra se répéter dans l’état.
3. La dictature du statu quo : les communautés internationale et africaine préfèrent le palliatif !
La communauté internationale qui prétend observer la démocratie à l’œuvre au Togo semble avoir oublié de faire son propre bilan. L’Union européenne disposait des résultats réels des élections de 2005 au Togo mais ne les a jamais annoncés. Cette organisation par la voix de ses parlementaires devrait nécessairement se donner un délai de 5 ans maximum pour annoncer officiellement la réalité de ce qu’elle a observé à moins qu’elle ne soit alors complice de tout le processus de démocrature. Elle ne peut, sous couvert de neutralité, se cacher derrière les affirmations de la CEDEAO ou de l’Union africaine en feignant de “laisser les Africains gérer leur affaires entre eux”. Il s’agit en fait de priver le peuple togolais de sa seule possibilité d’expression démocratique, ce qui, par un processus de vases communicants, protège indirectement les intérêts de certains dirigeants de la communauté internationale et de leurs sous-traitants africains. La contrepartie reste bien sûr le maintien au pouvoir pour ceux avec qui cette communauté internationale ou africaine a “l’habitude” de traiter. Il s’agit alors de tout faire pour se rapprocher le plus possible d’une démocratie formelle, la fameuse démocratie palliative.
Alors convaincre le peuple africain que la démocratie est la meilleure voie pour gérer les affaires de cité en Afrique pose problème. Les militaires nigériens[iii] l’ont compris et n’ont pas attendu le pourrissement d’une situation dite “démocratique” où certains membres de la communauté internationale, de la communauté africaine et bien sûrs des grands acteurs du secteur privé intéressés par le sous-sol nigérien ont choisi la force du statu quo… les militaires nigériens sont devenus malgré eux et avec ce que tout le monde dénonce, c’est à dire un coup d’Etat, les champions de la rupture qui permettent, s’ils tiennent parole, le retour de la démocratie où la vérité des urnes des Africains est plus importante que l’intérêt des groupes de pression neutralisant la communauté internationale, chloroformant la communauté africaine qui s’aligne. Tout le monde joue dans la cour de l’hypocrisie en restant dans son rôle et en condamnant le coup d’Etat au Niger. Mais en réalité, la démocratie palliative ne marche pas. La démocratie de façade qui n’oublie pas de faire signer des contrats où les populations sont spoliées ne marche pas. La démocrafricaine est en phase de décadence. Le Togo peut obtenir une vérité des urnes si la communauté internationale, l’Union africaine, la CEDEAO et l’Organisation internationale pour la Francophonie, toutes ayant eu des observateurs en 2005 au Togo, acceptent enfin de dire la vérité, la vraie, pas la leur sur les résultats réellement observés.
Les communautés internationale et africaine doivent apprendre de plus en plus que la dictature du statu quo ne pourra plus tenir très longtemps en Afrique. Accompagner la vérité des urnes sans double langage et hypocrisie serait la voie la plus sage. Toutes les autres voies mènent à l’aventure et à l’improvisation, avec les risques que chacun connaît.
4. La nouvelle tripolarisation togolaise n’empêchera pas le vote utile
Aujourd’hui, le Togo va aux élections avec :
- une liste électorale contestée pour non transparence,
- une Cour constitutionnelle inféodée au pouvoir par un système de contrôle à priori des dossiers de candidature par l’Administration togolaise qui a permis d’éliminer deux candidatures de poids, Gilchrist Olympio pour force majeure et Koffi Yamgnane pour interprétation abusive d’un vice de formes introduit par l’Administration,
- des procédures de recours limitées à leur plus simple expression avec des chances quasi-nulles d’aboutir auprès de la Commission électorale nationale indépendante ou de la Cour constitutionnelle – toutes deux sous contrôle discret du pouvoir dominant -.
Il ne faut pas s’étonner, comme en Guinée, que le pouvoir dominant ne tardera pas à annoncer une interdiction de manifester sur tout le territoire pendant et après le comptage du vote. Aussi, une fois les bureaux de vote fermés, les observateurs européens et africains très soucieux de redéfinir leur définition de la paix, auront accompli leur mission en déclarant que les opérations de vote se sont bien déroulées. Ils ne seront plus responsables de ce que fait le pouvoir dominant. Les termes de référence des missions des responsables de l’Union africaine, de la CEDEAO et de l’Union européenne devraient être affichés pour que les populations comprennent les limites de leur mission, ce qui n’exclut pas la propagande postélectorale que tout s’est bien déroulé même au delà de leur “mandat’.
En réalité lorsque le pouvoir ne veut pas respecter les règles et principes démocratiques d’une élection transparente, ces observateurs électoraux ne garantissent en fait pas grand chose si ce n’est en réalité le statu quo. Si la population togolaise accepte le principe de l’interdiction de manifester pendant les quelques jours qui suivent les résultats, alors le Togo sera comme le Gabon. La Cour constitutionnelle rendra la décision conforme au droit du plus puissant. Mais si le recomptage est possible en présence des candidats, des médias et non des huissiers qui ne peuvent que constater ce que dira la Cour constitutionnelle, si le recomptage se fait au niveau des bureaux de vote et est validé au niveau des commissions électorales locales/nationales indépendantes pour les cas les plus litigieux et que les représentants de tous les candidats sont présents et avalisent les nouveaux résultats, alors peut-être le Togo aura enfin la chance de rentrer dans un règne nouveau de la transparence et de la rupture avec le passé.
Il ne s’agit pas là de la rupture à géométrie variable telle qu’elle se pratique ailleurs, mais bien d’une volonté réelle de Faure Gnassingbé de savoir ce qu’il vaut réellement en termes de voix au sein de la population togolaise moins la Diaspora, puisque ces derniers ont exclus du processus alors qu’ils représentent un appoint non négligeable variant entre 800 000 et 1 100 000 de votants.
L’opposition togolaise se caractérise par des fortes personnalités qui se neutralisent mutuellement quant il s’agit d’arbitrer sur l’essentiel. A force de mettre en avant le principe du “passage en force” en cherchant à imposer des individus en dernière minute, le jeu politique finit par offrir un boulevard au statu quo par des arrangements effectués dans l’urgence. Tout ceci prend de plus en plus la forme de l’organisation d’une transition aux allures de gouvernement d’union nationale. Cela ne peut que faire la part belle aux tenants du pouvoir et aux militaires, surtout si la légitimation vient de l’extérieur.
Toutefois, le Togo a fondamentalement évolué et appris à s’organiser face à un scrutin présidentiel uninominal à un tour. Il s’agit clairement de voter utile, ce qui signifie que la tripolarisation [iv] qui sévit dans le pays actuellement devra permettre aux électeurs et électrices togolais de formellement ou informellement, directement ou indirectement, officiellement ou officieusement choisir leur camp parmi trois types de coalition où parfois le candidat dit “unique” peine à réellement rassembler au-delà de ses sympathisants traditionnels. Il s’agit de :
- la candidature commune du Front Républicain pour l’Alternance (FRAC), avec Jean Pierre Fabre, comme représentant des partis ou mouvements principaux suivants : l’UFC, l’ADDI, l’Alliance, le PSR et Sursaut-Togo, etc.
- la candidature commune du Rassemblement du Peuple Togolais (RPT) de Faure Gnassingbé, Président sortant, nouveau regroupement des actuels et anciens et nouveaux mouvements ou personnalités affiliées ou redevables au parti dominant ; et
- la candidature commune de la Coordination pour l’Alternance (CPA[v]), créée le 25 février 2010 dont le représentant reste inconnu pour le moment. Il s’agit des partis suivants : le Comité d’Action pour le Renouveau (CAR) ayant pour candidat Me. Yawovi Agboyibo, l’Organisation pour Bâtir dans l’Union un Togo Solidaire (OBUTS) dont le candidat est Agbéyomé Kodjo, la Convention Démocratique des Peuple Africains (CDPA) avec Mme Brigitte Adjamagbo-Johnson et le Mouvement Citoyen pour la Démocratie de Tchassona Traoré. Tous se sont engagés à mettre en commun leurs ressources, à désister mutuellement pour l’un d’entre eux et à assurer la transparence des élections.
D’autres candidats qu’il convient de ne pas négliger, Bassabi Kagbara du Parti démocratique panafricain (PDP) et Nicolas Lawson du Parti pour le Renouveau et la Rédemption (PRR), se retrouvent comme des électrons libres pour faire avancer leur idées auprès des Togolais. Mais, il subiront comme les autres la loi de la bipolarisation au moment du vote. Avec une élection à un tour s’il le faut même à la dernière minute, les électeurs devront choisir le camp dont sera issu le Président de tous les Togolais et Togolaises. Ceux des partis qui refusent d’annoncer clairement leurs consignes de vote avant le 2 mars 2010 au soir, date de la fin de la campagne électorale, sont certainement alors dans une logique de négociation avec le parti qui sortira vainqueur à la suite de cette élection.
Mais c’est oublier que cette fois-ci, la tripolarisation n’empêchera pas le vote utile. Sans fraude, le vainqueur devra former son gouvernement en fonction des résultats. Ce seront alors des formes nouvelles de coalitions dans lesquelles le jeu à trois, s’il n’est pas réglé avant les élections, pourrait jouer en défaveur du candidat arrivé en seconde position. En effet, il suffit alors au candidat arrivé en troisième position de faire alliance avec le candidat arrivé en première position pour qu’une sorte de majorité gouvernable se dessine. Si la vérité des urnes est au rendez-vous, le Togo aura progressé. Si ce jeu se fait sur la base d’irrégularités, voire de falsifications des résultats des candidats, alors le spectre de 2005 ne peut être écarté. Le seul gouvernement possible sera alors la coalition entre le RPT, le FRAC et le CPA, mais pour quel programme ? Le Togolais risque de connaître alors une nouvelle phase de transition.
5. Un débat télévisé entre les candidatures communes est nécessaire même après le 4 mars 2010
Il importe de s’appesantir sur un extrait du discours du candidat Faure Gnassingbé dont l’accession au pouvoir en 2005 souffre de multiples irrégularités avec en prime l’impunité qui n’a pas permis de faire le deuil des nombreux morts, blessés, handicapés et une grande partie de la population appauvrie se contentant de sa douleur morale.
Il s’agit du discours qu’il a prononcé à Badou le 27 février 2010 : « … Rien, rien ne doit justifier la moindre violence le 04 mars 2010… Ce message c’est de vous rappeler qu’il y a 5 ans, quand j’étais venu ici, j’avais des projets plein la tête. Je pensais qu’immédiatement après la proclamation des résultats, on allait pouvoir se mettre au travail. Mais malheureusement, à cause des violences, cela n’a pas été possible. Nous avons dû prendre beaucoup de temps, pratiquement 3 ans, pour essayer d’apaiser, de rassembler, de dialoguer et de réapprendre à vivre ensemble… Alors, je veux vous dire : ceux qui n’ont pas l’intention de voter ou de voter pour moi, respectez le choix des autres, mais ne posez surtout pas d’actes de violence. [vi]»
Le problème dans cet extrait qui reflète l’ensemble de la campagne de ce candidat, c’est que la source de la violence est occultée. Il s’agit bien sûr de l’usurpation des urnes et donc de la fraude. Les Togolais ont voté pacifiquement au cours de la période pré-électorale. Mettre plus de trois ans pour régler un problème qui aurait pu se régler en 3 minutes en annonçant la vérité des urnes reflète une conception particulière de la démocratie. Les déclarations du même candidat dans son discours de Gboto, dans la préfecture de Tabligbo (60 km au nord-est de Lomé) étonnent lorsqu’il rappelle le comportement citoyen en zone réputée comme un fief de l’opposition : « …Si le candidat que vous aviez choisi n’a pas été élu, reconnaissez la victoire de son adversaire, c’est le sens même de la démocratie[vii] ». Quand il avertit qu’il ne tolèrerait pas les “actes susceptibles de troubler le prochain scrutin et de remettre en cause la paix retrouvée” ou en se montrant “ferme vis-à-vis des éventuels récidivistes, soulignant que l’impunité n’a plus de droit de cité au Togo[viii]“, on peut se demander encore pourquoi la fraude qui est à l’origine des troubles au Togo n’est jamais mentionnée. Il est donc difficile de percevoir une quelconque ouverture en cas d’échec de la part du Président sortant sur son comportement s’il était mis en minorité. Ce point mérite d’être clarifié surtout en comparaison avec le discours de candidat commun du FRAC qui rappelle que le droit à la différence a été refusé pendant plus de quatre décennies à la Diaspora togolaise et semble mettre plus l’accent sur de “nouveaux paradigmes enracinés dans des valeurs partagées, comme la solidarité, la démocratie, les droits humains, l’environnement” bref une “terre de la tolérance[ix]“. Le travail remarquable de certains médias télévisuels[x] doit se prolonger en offrant le débat télévisé afin de préciser ce que les candidats feront dans leurs 100 premiers jours… et les grandes lignes de leur programme sur les cinq ans à la tête du Togo si leur concitoyens leur accordent leur suffrage.
A ce titre, il est proposé qu’un débat contradictoire ait lieu entre les trois principales personnalités représentant les candidatures communes afin de faciliter le vote utile des électeurs togolais. Le débat est d’autant plus nécessaire, à supposer que les candidats en acceptent le principe, car le jeu à trois fait que l’une des composantes, notamment le nouveau CPA, risque, si l’un de leurs candidats arrivent à désister réellement pour leur candidat commun, à jouer le rôle d’arbitre en rejoignant ou pas le RPT ou le FRAC.
Si ce débat pour des raisons d’organisation mais aussi de “peur” semble pour le moment renvoyé aux calendres grecques, alors ce débat doit avoir lieu après les élections du 4 mars 2010. Rien n’empêche qu’au Togo l’on assiste à la surprise, s’il y a transparence, que le RPT et son candidat puisse se retrouver en troisième position et que l’on assiste peut-être alors à une grande coalition entre FRAC et CPA après les élections. Mais certains candidats semblent en apparence en exclure la possibilité avant les élections du 4 mars 2010. Les autres formes de coalitions RPT/FRAC ou vice-versa, RPT/CPA ou vice-versa ou encore RPT/FRAC/CPA ne doivent pas être exclues car pour retrouver une société de confiance, il y a peut-être besoin de réapprendre à travailler ensemble. La démocratie orchestrée ne peut qu’accoucher d’un statu quo élargi comme un moindre mal. Cela ne clarifiera pas le jeu politique au Togo pour autant. Le problème de la fraude électorale restera entier.YEA
Notes :
[i] Yves Ekoué Amaïzo (sous la direction de), La neutralité coupable : l’autocensure des Africains. Un frein aux alternatives ? avec une préface de Dr. Abel Goumba et une postface de Godwin T. Tété-Adjalogo, collection “Interdépendance africaine”, éditions Menaibuc, Paris, 2008, 446 p.
[ii] UE, “Mission d’observation électorale de l’Union européenne au Togo : Elections présidentielles”, voir <http://www.moeue-togo.eu/FR/Legal.html>
[iii] Il est fait allusion au coup d’Etat sans effusion de sang au Niger. Le quatrième Coup d’Etat Militaire du Niger a eu lieu le jeudi 18 février 2010 avec l’éviction du Président Mamadou Tandja et l’arrivée de jeunes militaires regroupés sous le Conseil Suprême pour la Restauration de la Démocratie (CSRD). Ces derniers tentent de rassurer, promettant des élections libres et démocratiques, un retour à la vie civile et une coopération étroite avec les forces démocratiques du pays.
[iv] Yves Ekoué Amaïzo, “Présidentielle au Togo : Démocratie palliative ou vérité des urnes ?” sur Afrology, <voir www.afrology.com> et <https://amaizo.info/2010/02/14/presidentielle-au-togo-democratie-palliative-ou-verite-des-urnes/>
[v] Rédaction, “FRAC et CPA”, Republicoftogo online, voir 26 février 2010,voir <http://www.republicoftogo.com/Toutes-les-rubriques/Politique/La-Coordination-fait-Front>
[vi] Sylvie Delhaye, “Faure Gnassingbé: paix et sérénité pour les élections Togo 2010”, Samedi 27 Février 2010, in Forum Togo online, voir < http://www.forumtogo.org/Faure-Gnassingbe-paix-et-serenite-pour-les-elections-Togo-2010_a222.html>
[vii] Faure : « Tirons les leçons du passé », in Republicoftogo online, voir 11 février 2010, voir :
< http://www.republicoftogo.com/layout/set/print/content/view/full/6289>
[viii] Rédaction, “Togo : grande croisade de Faure dans les Plateaux-Ouest”, in AfriScoop, 26 février 2010, voir <www.afriscoop.net/journal/spip.php?article1157>
[ix] Jean Pierre Fabre, notamment le discours à la Diaspora togolaise, à la communauté internationale, aux amis du Togo et aux Hommes et Femmes de bonne volonté, 25 février 2010, voir le site : www.fabre-togo.com
[x] Voir notamment les débats www.africa24tv.com et www.koami.com
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