La décade 2000-2009 se termine. L’Afrique entre de plein pied dans la décade 2010-2019 sans avoir fait le bilan des responsabilités internes pour ce qui est du passé et sans avoir fixé les objectifs des 10 prochaines années au plan interne. Aussi sur 54 pays africains et 50 ans après les indépendances juridiques pour les uns, politiques pour les autres, les pays africains qui ne connaissent pas les devoirs et les responsabilités de l’indépendance économique sont largement majoritaires.
1.L’Afrique et la crise financière de 2008 : une opportunité pour offrir des alternatives
Pourtant, avec le recul, la décade 2000-2009 a vu une Afrique prendre conscience de sa force collective. Une Afrique qui n’a plus besoin des conditionnalités des institutions de Bretton Woods ou des institutions bilatérales pour prendre ses responsabilités dans les arbitrages économiques, budgétaires et financiers. Ceux qui veulent continuer à téléphoner à Paris ou Londres ou s’aligner sur les positions d’un pays industrialisé aux dépens des priorités de leur propre population vont graduellement devenir minoritaires au cours de la prochaine décade 2010-2019. C’est donc bien au cours de cette décade qu’une mutation profonde de l’Afrique devrait avoir lieu. Pour la réussir, l’Afrique a besoin de consolider ses positions collectives et augmenter de manière pérenne ses marges de manœuvres budgétaires et politiques.
La crise financière de 2008 a permis de rappeler que l’Afrique n’est en rien responsable, encore moins fautive des bulles financières et de la dérégulation. Au contraire, le continent a très largement soutenu la croissance économique mondiale. Entre 1991-2009 en intégrant donc les impacts de la crise financière de 2008, l’Afrique, avec une moyenne de croissance économique de 5,09 %, est largement au-dessus de la moyenne mondiale pour la même période, soit 3,35 % et largement au-dessus des pays industrialisés qui peinent autour de 1,65 %[i].
Même au plus fort de la crise financière de 2008 et malgré les conséquences désastreuses décalées, l’Afrique a été globalement résiliente. En 2009, elle n’est pas en récession avec un taux de croissance économique oscillant entre 1,7 % (selon le Fond monétaire international (FMI)) et 2,8 % selon la Banque africaine de développement (BAD)[ii]. La réalité est que l’Afrique commence, malgré sa pauvreté, à influencer le monde avec sa sagesse ancestrale et ses paradigmes de cohésion sociale et de paix. Cette influence ne pourra perdurer que si un grand nombre de dirigeants tant dans le secteur public que privé se focalise sur trois paradigmes fondant la civilisation africaine :
- L’afrocentricité ;
- Le solidarisme ;
- L’approche collective au plan stratégique au service des générations futures et des peuples africains y compris ceux de la Diaspora.
La crise financière a plongé les pays industrialisés dans une récession économique avec des sorties de crises lentes. Elle a surtout démontré que le dogmatisme des systèmes et modèles économiques importés ne permettent plus aux dirigeants des pays industrialisés de donner des leçons à l’Afrique. Mais les dirigeants africains qui ont suivi et imposé aveuglément ces préceptes ne peuvent prétendre continuer, avec beaucoup d’arrogance, à conduire l’avenir de l’Afrique. Il n’y a donc plus d’autres alternatives que de placer la décade 2010-2019 sous le signe du Partenariat intelligent lequel pourrait se décliner autour de trois catégories de refonte des approches participatives :
- entre les gouvernants et les populations africaines (y compris les Africains établis à l’étranger) au plan national, régional et continental avec des décentralisations qui doivent épouser les formes de régions africaines transcendant les frontières héritées de la colonisation ;
- entre les gouvernants africains et ceux des pays industrialisés en veillant à ce que la légitimité des responsables africains soit au rendez-vous afin d’éviter de vendre l’Afrique au plus offrant ;
- entre les gouvernants africains et les gouvernants des pays émergents en insistant sur le rôle fondamental du développement des capacités productives[iii] et de la diffusion de la technologie, du savoir-faire et des complémentarités fondées sur la valeur ajoutée.
Ce changement en profondeur des comportements, des visions, des compréhensions du processus de création de richesse et de la prospérité en Afrique devrait se propager dans tous milieux où l’intérêt des populations africaines prévaut avec en filigrane une référence à l’éthique. Au demeurant, les résistances ne manqueront pas de prendre forme. Mais il s’agira de combats d’arrière-garde qui ne survivront pas à la prochaine décennie. Pour parer à cela, les approches nouvelles devront reposer sur trois concepts que les dirigeants africains ont souvent et régulièrement eu du mal à mettre en pratique. Il s’agit principalement de :
- la transparence avec en toile de fond, la légitimité des dirigeants, des partis politiques et des institutions. Les représentants du peuple africain doivent nécessairement être choisis sur la base d’un processus démocratique interne et participatif de sélection avec une priorité donnée à la parité entre hommes et femmes. Les femmes doivent nécessairement et rapidement occuper des postes à responsabilité, ce que l’Afrique des 50 dernières années a magistralement proscrit. L’exemple du Rwanda à cet égard peut éclairer le futur africain surtout si l’alternance politique et pacifique venait à y voir le jour ;
- le respect de la vérité des urnes tant en politique que dans les structures sociales, culturelles et juridiques. Il sera inadmissible de voir des dirigeants d’association sportives, des « chambres de commerce, de l’industrie ou des métiers », des collectivités locales comme les mairies, ou encore des entités juridiques notamment les juges, être désignés sur la base du bon vouloir du prince et non sur le choix libre des peuples africains ;
- l’institutionnalisation de « contre-pouvoirs » et un organe de règlements des différends entre le pouvoir et les « contre-pouvoirs » afin d’éviter que les conflits ne se terminent dans la rue et ne déstabilisent les pays. A ce titre, le rôle des organisations de la société civile en Afrique comme contre-pouvoir devrait être renforcé et institutionnalisé.
2. User du Dialogue pour influencer les décideurs
C’est dans ce cadre qu’il faut louer l’initiative de dirigeants avant-gardistes africains qui ont établi un forum de discussion, de proposition et d’influence du nom de CoDA, la Coalition pour le Dialogue sur l’Afrique[iv] dirigée par un ex-Président du Botswana, Festus Mogae, assisté par le Coordonnateur ex-ministre Dr. Abdoulaye Bathily, avec la participation entre autres tant au plan financier, intellectuel que logistique de la Banque africaine de développement, de la Commission économique pour l’Afrique des Nations Unies, de la Commission de l’Union africaine, du milliardaire africain Mo Ibrahim et sa fondation[v] et d’une multitude d’organisations de la société civile y compris celles du patronat africains dont la Table ronde des hommes d’affaires africains. En effet, le 28 novembre 2009 à Tunis, la CoDA a réuni un panel impressionnant d’experts, de décideurs, de groupes de pression et d’influence (Think Tanks) y compris Afrology et de journalistes africains sur le thème de la « crise financière mondiale » et les réponses alternatives que l’Afrique peut offrir[vi].
L’essentiel des réponses dérive de trois principaux constats :
- Les représentants des peuples africains agissant tant dans les secteurs public, privé et non-gouvernemental doivent proposer des réponses qui ne sont pas nécessairement les mêmes que celles des riches pays industrialisés. A ce titre, les approches du mimétisme et de l’alignement voire le « quémandage » devront graduellement disparaître pour faire place à des positions communes fondées sur des conseils et des expertises provenant d’Africains dédiés à la cause des populations africaines ;
- Le paradigme de dépendance économique et financière dans lequel se réalisent en Afrique les opérations économiques, les transactions financières et les arbitrages stratégiques avec les conséquences sociales et culturelles désastreuses sur la dignité de l’Africain ne répond plus aux préoccupations des agents économiques africains. A ce titre, le paradigme de l’Afrocentricité devrait graduellement servir de soubassement à toute décision en Afrique et reposer sur les avis d’expertises africaines indépendantes ;
- Les dirigeants africains mais aussi de nombreux dirigeants d’entités économiques n’ont pas mis en place des mécanismes d’anticipations et de veille afin de limiter les arbitrages stratégiques allant à l’encontre de leurs propres intérêts et celui collectif de l’Afrique. Aussi, la veille stratégique et l’anticipation doivent retrouver leur fonction sur le continent.
3. Institutionnaliser des contre-pouvoirs, la participation et l’agilité de l’Etat
Dans un monde interdépendant et avec une Afrique qui n’a jamais fondé sa politique étrangère sur l’agression des autres ou l’usurpation des ressources des autres, la réponse à apporter pour soutenir la mutation de l’Afrique, ceci à tous les niveaux, est d’institutionnaliser des contre-pouvoirs. En effet, cette approche participative du développement et de la prospérité économique devrait faciliter le retour vers la cohésion sociale, les consensus intelligents qui ne sont pas l’équivalent d’accords par défaut reposant sur le plus petit dénominateur commun que personne ne met en œuvre. Il est question donc d’apprendre à « engager l’Afrique » sur son propre avenir. Il est question de « responsabiliser » et de « se responsabiliser » afin de mettre fin à l’usurpation du pouvoir et des richesses par un petit nombre, inconscient des enjeux futurs et ignorants sur les conséquences catastrophiques sur l’Afrique du changement climatique à venir. Bref, il s’agit d’institutionnaliser la participation de la société civile pour que le Dialogue n’ait plus lieu dans la rue, ni dans le boycottage, encore moins dans la violence ou les attentats.
Il s’agit de demander à l’Afrique de mettre sur papier le modèle de développement, de création et de distribution de la richesse entre sa population et le monde afin d’assurer une certaine prévisibilité des échéances et de construire une résistance et une résilience face à un environnement hostile, changeant et concurrentiel. L’Afrique trop passive au cours des 50 dernières années devrait graduellement passer à une Afrique agile. Cela suppose un Etat plus agile, plus soucieux de l’intérêt des citoyens-contribuables. Ce même Etat doit concevoir d’apporter à la table de négociation son propre point de vue et le confronter avec les positions communes et concertées de la société civile africaine fondées sur l’éclairage de ses spécialistes indépendants. Les 50 dernières années ont vu trop d’arbitrages stratégiques imposés de l’extérieur avec la complicité de certains des responsables africains qui y ont cédé pour préserver leur carrière -les « fameux carriéristes ». Avec, l’effet « boomerang » que génèrent les mauvais choix stratégiques passés tant des institutions de Bretton-Woods, de certains bilatéraux que des Africains eux-mêmes, il y a lieu de reconsidérer la façon dont une décision est prise et mise en œuvre en Afrique au cours de la prochaine décade. Il y a lieu donc de reconsidérer l’agilité de l’Etat africain.
4. Changement climatique et prise de conscience collective
La prolifération des gaz à effet de serre notamment le dioxyde de carbone produit par l’activité humaine est responsable du réchauffement climatique. Une des conséquences paradoxales est qu’il n’est plus impossible d’imaginer que la malaria et le paludisme deviennent des maladies qui pourraient sévir dans les pays riches. Aussi après avoir fait semblant d’aider l’Afrique sur ce sujet en empêchant l’émergence à grande échelle de solutions endogènes et leur diffusion, peut-être que les conséquences du réchauffement climatique rapprocheraient les pays riches, les pays émergents et l’Afrique notamment dans les domaines des préventions et du traitement médical de certaines maladies superbement ignorées par les grands laboratoires occidentaux au cours de 50 dernières années.
La conférence de Copenhague (7-18 décembre 2009)[vii] semble omettre superbement les conséquences du changement climatique sur la pollution de l’eau. En fait, ce sont les inégalités supplémentaires que génère la pollution environnementale sur la santé qui risquent à moyen terme d’ouvrir le champ à une crise sanitaire d’envergure en Afrique. En définitive, l’écologie n’a pas pour objet de sauver la planète comme semble le promouvoir le rassemblement des grands dignitaires du monde. En réalité, l’écologie doit avoir pour objet de sauver l’humain qui vit dans un environnement dénaturé par l’homme. A ce titre, les pays ne disposant pas de marges de manœuvre budgétaires et d’une politique volontariste pour réagir ou changer les modes de consommation seront aussi les plus touchés. L’Afrique subit les conséquences d’une destruction environnementale qu’elle n’a pas créée. Les dirigeants africains gagneraient à mettre l’accent sur les différentiels d’inégalités afin de tirer le meilleur parti de cette Conférence. Les principes de précaution et de responsabilités communes même si elles sont différenciées ne doivent pas devenir une obstruction au droit au développement. Au-delà des engagements chiffrés, c’est bien l’émergence d’une éthique écologique qui peinent à voir le jour.
Malheureusement, l’écologie n’a que rarement été une source d’amélioration des inégalités. Là encore, les pays riches devraient utiliser leur avance technologique pour limiter les effets du changement climatique sur leur territoire tout en acceptant que les pays en développement, l’Afrique en particulier, puissent accéder à de nouvelles technologies propres sans conditionnalités de dépendance. Ce nouveau partenariat intelligent ne doit pas se faire aux dépens des Africains du fait du manque d’influence et de moyens financiers. L’Afrique devra parler d’une seule et même voix, même si la diversité des conséquences sur l’homme, la femme et l’enfant en Afrique risque d’être considérée comme partie négligeable au cours de la Conférence de Copenhague. Il n’est pas question non plus de demander uniquement des compensations monétaires si les responsables africains ne prennent pas conscience des conséquences en interne des arbitrages économiques effectués sous le sceau de l’autoritarisme sans avis d’experts africains indépendants.
En réalité, cette conférence qui met fin aux protocoles de Kyoto[viii] doit prendre en compte le volet « inégalité, santé et justice face aux problèmes du climat ». Ce n’est qu’à cette condition que le peuple africain notamment la partie la plus vulnérable dont plus de 65 % vivant en zones rurales sera pris en compte. Il est question de solidarité internationale afin de permettre à des pays n’ayant pas atteint le niveau de développement industriel polluant qu’a atteint l’Occident, de peut-être sauter les étapes de développement technologique en refusant l’utilisation anarchique du charbon, du gaz, du nucléaire et du pétrole pour passer directement à des technologies propres, respectueuses de l’environnement et des équilibres écologiques. Mais, est-ce que la volonté collective est au rendez-vous ? Est-ce que les dirigeants africains pris collectivement sont soucieux de l’enjeu pour les générations futures en Afrique ?
La pire des décisions est que l’Afrique des dirigeants offre une position commune qui ne repose pas sur des actions volontaristes et stratégiques pour 2010-2019 et au-delà tout en continuant de croire que les décisions fondées sur le plus petit dénominateur commun sur les biens publics globaux comme l’environnement pourront servir de solutions palliatives. Cette erreur d’appréciation, fréquente dans les décisions des responsables africains, doit absolument être évitée car sans technologie de « dépollution » de l’eau par exemple, ce sont des villages entiers en Afrique qui vont disparaître en silence. En effet, certains des pays africains qui ont stocké des déchets chimiques ou nucléaires sans en informer la population et qui voient aujourd’hui ces déchets contaminer les nappes phréatiques, ont vu le niveau des maladies comme le cancer augmenter de manière exponentielle avec une élévation proportionnelle de la mortalité dans des villages qui pourtant ne méritent pas de payer pour des arbitrages erronés et non transparents de leurs dirigeants. Il en est de même lorsque certains dirigeants s’engagent sur des contrats de location du sol africain sur 50 à 99 ans sans avoir les moyens réels d’effectuer des contrôles pour savoir ce qui se fait réellement sur ce territoire « annexé » de manière économique, juste pour des intérêts de court-terme ou personnels.
5. Des manques à gagner prévisibles pour l’Afrique
Il convient de rajouter à ce tableau de la vigilance que les conséquences de la crise financière sur les pays industrialisés ne sont pas terminées. Certains pays pourraient, du fait d’un endettement trop élevé de leur économie et un refus de modifier leur mode de vie, être condamnés à dévaluer leur monnaie de manière drastique. Si cela devait arriver aux Etats-Unis, compte tenu de la position inflexible de la Chine qui refuse de dévaluer sa monnaie, arrimée sur le dollar américain, la conséquence directe est un manque à gagner qui aurait pu être limité si l’Afrique accordait une plus grande importance à la convergence monétaire au moins au plan sous-régional afin d’aller rapidement vers la création de sa monnaie commune. Le continent pourrait subir de plein fouet une nouvelle crise économique liée à un différentiel dans les termes de l’échange et les risques de change puisque la plupart de ses matières premières non transformées sont facturées en dollar américain alors que les principaux centres d’importations sont l’Union européenne et la Chine.
Sur ce plan, on se demande pourquoi les pays africains ne promeuvent pas les cartels de matières premières et exigent que les paiements se fassent sur la base d’un panier de monnaie afin de limiter les risques de change et des termes de l’échange, qui ne sont en fait qu’une ponction anormale de leur prospérité économique, ponction qui se fait bien sûr aux dépens de leur population. La réforme de l’architecture financière mondiale, notamment les systèmes de réserve et de paiement, devrait amener l’Afrique à limiter le paiement de ses biens en dollar américain en optant pour un panier de monnaie. Cela devrait aussi ouvrir la voie à l’instauration d’un système mondial multidevises qui viendrait protéger le continent contre des dévaluations surprises d’une monnaie comme le dollar avec en contrepartie une surévaluation de l’Euro et du Yuan chinois, ce qui au fond n’est pas un exemple de stabilité monétaire. L’Afrique doit donc nécessairement aller dans le sens d’une solidarité économique et budgétaire. Pour ce faire, elle devra accélérer la création de son Fond monétaire africain (FMA), en gestation à Yaoundé, Cameroun. En attendant, l’Afrique devra éviter de continuer à créer ici et là des fonds souverains sans qu’il y ait des coordinations sous la forme de mesures groupées et concertées de relance et de résilience des économies africaines, ou tout au moins au niveau sous-régional. Ces fonds pourraient d’ailleurs, en dehors de l’aspect soutien aux balances des paiements, aller vers des projets communs de protection des biens publics africains, voire de l’infrastructure de bien-être.
6. Introduire l’afrocentricité dans le mandat des organisations internationales
En référence à l’émergence de la mutation de l’Afrique, les institutions en charge des dossiers globaux, notamment l’OMC mais de manière générale les Nations-Unies, devront être analysées d’un point de vue de l’Afrocentricité afin de permettre à l’Afrique d’y offrir des positions collectives de « non-alignés[ix] » et de les maintenir, compte tenu du haut degré de trahison de la cause africaine constaté ici et là par des Etats qui finissent par céder à des pressions externes pour défendre leurs intérêts nationaux, souvent sans succès dans le long terme. Les dirigeants africains doivent justifier leur prise de position au plan global en fournissant les justificatifs portant sur l’afrocentricité, le mieux-être socio-économique des Africains et les efforts pour préserver l’environnement et la cohésion sociale. Aussi, il n’est plus possible au cours de la prochaine décade 2010-2019 de continuer à soutenir des institutions internationales et globales qui s’éloignent de leur mandat si ces mandats doivent aller à l’encontre des intérêts de populations africaines.
Il n’est pas possible non plus d’accepter que des institutions comme l’Organisation mondiale du commerce continuent à promouvoir de manière aveugle un libéralisme dérégulé qui a produit la crise financière de 2008 et ses conséquences sur l’Afrique. A ce titre, des propositions sont proposées où le commerce dérégulé est montré du doigt comme principal responsable des maux de l’Afrique[x], surtout au plan du blocage de sa prospérité et sa résilience économiques. Il y a donc besoin pour les dirigeants africains de s’interroger sur l’objet même de l’OMC. D’après l’institut international de développement durable « l’OMC ne respecte pas son mandat » et semble mettre l’accent sur des positions mercantilistes aux services d’intérêts commerciaux des Etats influents. Comment est-ce qu’un pays faiblement industrialisé peut décider de consacrer près de 500.000 $US en moyenne pour démarrer un contentieux devant l’organe des règlements des différends de l’OMC alors que cette somme peut servir à des actions de développement sur le terrain. Par ailleurs, les pays africains ne sont pas immunes des actions de vengeance des pays influents qui peuvent jouer sur des sanctions bilatérales. C’est cela qui explique la position des pays africains producteurs de coton qui ont préféré ne pas « se mettre les Etats-Unis » à dos alors que le Brésil a réussi à faire condamner les Etats-Unis d’Amérique sur le dossier des subventions américaines à leurs producteurs de coton[xi].
Les Africains sont donc condamnés à ne jouer que dans la cour des compensations sans garantie d’être entendus. Ce jeu de dupe amène à reconsidérer le rôle et le mandat de l’OMC. Faut-il retourner au mandat initial et se limiter à organiser les règles commerciales à partir d’ailleurs des accords bilatéraux ou régionaux ? Faut-il délocaliser l’OMC afin d’assurer des positions africaines et ne remonter au niveau mondial que le consensus africain ? Faut-il remettre en cause la dérégulation dans les échanges tant que l’Afrique n’a pas assuré le développement de ses structures productives de base, de peur de se faire envahir par les produits provenant des pays émergents ou industrialisés ?
En définitive, à quoi servent certaines institutions dont le mandat finit par aller à l’encontre des intérêts des populations africaines ? Ce point mériterait d’être soulevé aussi pour d’autres institutions (spécialisées ou pas) des Nations-Unies, surtout lorsque l’essentiel des ressources financières provient des pays industrialisés qui n’ont alors aucun intérêt à laisser le mandat de l’organisation s’exercer normalement, soit en limitant les budgets fournis ou en les accordant avec des conditionnalités agressives, soit en détournant l’organisation de son mandat original en poussant l’institution vers des activités non spécialisées, empiétant d’ailleurs sur le mandat d’autres institutions, créant ainsi la confusion, le manque de coordination et bien sûr l’imprévisibilité dans les actions.
7. Conclusion pour 2010-2019 : augmenter les marges de manœuvre de l’Afrique
L’essentiel des progrès en Afrique passe par des réformes du processus décisionnel et la participation de la société civile africaine. Outre les investissements massifs dans l’infrastructure de communication et de bien-être, il importe d’améliorer l’environnement institutionnel et légal des affaires de manière à attirer plus les entreprises engagées dans la responsabilité sociale de l’entreprise. Les ressources financières tirées des matières premières non transformées doivent pouvoir être réinjectées dans les besoins essentiels et les capacités productives. Il y a donc un urgent besoin de repenser le mode de création de richesse en Afrique afin de se mettre en rupture avec l’unilatéralisme qui veut que seul l’actionnaire s’accapare les fruits de la croissance. C’est donc bien tout le processus de croissance, de transfert et de préservation du pouvoir d’achat qui doit constituer la priorité en Afrique.
Pour ce faire, et en se fixant comme objectif d’augmenter le nombre d’agents économiques classés parmi les classes moyennes en Afrique, les dirigeants doivent s’atteler à mettre en place dans le cadre de l’institutionnalisation de contre-pouvoirs, ceci de manière concertée et diversifiée selon les régions et les pays, de pactes de soutien au pouvoir d’achat et à la prospérité économique partagée. Cela ne pourra devenir réalité que si des coupes sombres sont faites dans les propensions à augmenter la bureaucratie et les contraintes administratives. Cette nouvelle forme de productivité de la gouvernance ne peut faire l’économie d’assurer les équilibres des fondamentaux économiques (macro et micro-économiques) afin d’assurer des marges de manœuvre budgétaire et financière à des fins de développement de l’économie de proximité. En réalité, il s’agit d’un problème culturel. Si les dirigeants africains apprenaient un tant soi peu à dire « nous » à la place du traditionnel et dictatorial « je », l’institutionnalisation des contre-pouvoirs et les bénéfices collatéraux sur la cohésion sociale ne pourraient que contribuer à la création d’emplois en proximité et le retour de la dignité des Africains.
L’Afrique doit réapprendre à faire appel à des expertises indépendantes pour identifier les problèmes, y apporter des alternatives afin de privilégier des arbitrages sensés et ouvrir la voie à des partenariats intelligents en interne comme avec le monde extérieur. A défaut, l’Afrique est en train de mettre en jeu l’avenir des générations futures d’Africains. Trop de dirigeants africains demeurent des adeptes d’un keynésianisme mal digéré qui les conduit à opter pour l’endettement extérieur au point de préférer comme alternative de devenir des otages du marché du fait des déficits récurrents de leur solde budgétaire. Il suffit pourtant d’une autodiscipline fondée sur les convergences des politiques et des comptes en équilibre.
L’Afrique a besoin d’accéder au crédit à des conditions concessionnelles. Il va de soi que la Banque africaine de développement (BAD), l’institution aux notations excellentes de AAA et qui prête plus à l’Afrique que la Banque mondiale, a besoin d’augmenter son capital ainsi que ses ressources concessionnelles pour continuer à innover ses produits financiers et servir l’Afrique de manière ciblée et adaptée au cours de cette période post-crise 2008. La Conférence CoDA du 28 novembre 2009 a conclu en ce sens en insistant toutefois d’augmenter les marges de manœuvre des entreprises et des pays africains qui font appel à la BAD sur ses différents guichets (concessionnel ou privé). Pour y parvenir, il est souhaitable que les pays africains augmentent leur contribution et invitent ceux qui disposent de marges budgétaires et de réserves excédentaires, de ne pas manquer le rendez-vous de la mutation de l’Afrique au cours de la prochaine décade.
Le professeur béninois Albert Tévoédjrè, âgé de 80 ans, rappelle à juste titre dans son dernier ouvrage « Le Bonheur de servir[xii] » qu’une partie du monde n’a pas besoin d’opprimer une autre pour survivre. Une leçon de sagesse à méditer par les dirigeants du monde qui hésitent encore à prendre en compte les conséquences sur les populations africaines de l’accentuation des inégalités liées au changement climatique et aux arbitrages économiques. L’Afrique, en parlant d’une même voix, ne doit plus être considérée comme une variable d’ajustement au cours de la prochaine décade 2010-2019. Le respect des dirigeants africains viendra de leur capacité à organiser leur légitimité politique et à offrir un partenariat intelligent tant à l’intérieur de leur frontière avec la société civile africaine, qu’à l’extérieur des frontières africaines avec des dirigeants du monde défendant en priorité des intérêts catégoriels aux dépens de ceux de la communauté humaine. YEA.
Notes :
[i] Calculs à partir de IMF (2009), World Economic Outlook, Sustaining the Recovery, October 2009, p. 169.
[ii] IMF, op. cit et ADB & OECD, African Economic Outlook 2009
[iii] UNCTAD (2006), The Least Developed Countries Report 2006. Developing Productive Capacities, UNCTAD, Genève, Suisse
[iv] Voir < http://www.uneca.org/coda/about.html>
[v] Voir < http://www.moibrahimfoundation.org/en>
[vi] L’essentiel des présentations, des discours, des réactions des participants sont à retrouver entre autres sur les sites de la Banque africaine du développement, notamment <http://www.afdb.org/fr/news-events/article/meeting-of-the-coalition-for-dialogue-on-africa-coda-5417/>
[vii] United Nations Climate Change conference 7-18 December 2009, voir <http://en.cop15.dk/>
[viii] Trois traités internationaux sont à l’origine de l’encadrement des problèmes environnementaux : la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (ratifié en 1992 et entrée en vigueur en mars 1994) a été ratifié par 189 pays. Le protocole de Kyoto (ratifié en mars 1998 et entrée en vigueur en février 2005) a été ratifié par 172 pays sauf les Etats-Unis.
[ix] Martin Khor (2006), The WTO’s Doha Negotiations and Impasse: A Development Perspective. Third World Network Working paper
[x] Aaron Cosbey (2009), A sustainable development roadmap for the WTO, International Institute for Sustainable Development (IISD), Winipeg , Canada, voir <http://www.iisd.org/pdf/2009/sd_roadmap_wto.pdf>
[xi] Isolda Agazzi (2009), “Trade : “African States Need Advice Body Outside WTO for Talks”, in IPS News, 24 novembre 2009, voir < http://ipsnews.net/news.asp?idnews=49391 >
[xii] Albert Sourou Tévoédjrè, Le Bonheur de servir. Réflexions et repères, avec une préface de Kofi Annan, éditions L’Archipel, Paris, 2009.
Dakota Fust says
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