Avec la mort du Président El Hadj Omar Bongo Ondimba et une certaine volonté de la France de transformer la Françafrique, l’influence économique du Gabon sur la France et l’Afrique risque de s’amenuiser.
Le Produit intérieur brut par habitant (PIB/h) du Gabon en 1968 était de 5 176 $/h, largement supérieur au Portugal (4 873 $/h), à Singapour (3 540 $/h), à la Malaisie (1 942 $/h), au Brésil (2 704 $/h), à l’Afrique du Sud (3 819 $/h) et au Togo (1 043 $/h)(i).
En 2007, le Revenu intérieur brut par habitant (RIB/h) du Gabon, soit 7 020 $US/h, reste élevé par rapport à la moyenne subsaharienne, 951 $US/h(ii). Sans le pétrole, le Gabon serait peut-être à l’image du Togo avec un RIB/h de 360 $US/h). La performance économique du Gabon après 41 ans d’une gestion patriarcale de l’économie reste mitigée et permet de classer ce pays parmi les pays qui auraient pu mieux faire, surtout en comparaison avec des pays qui disposaient de moins de possibilités en 1968. La gestion patrimoniale et inégalitaire des richesses a favorisé une gouvernance économique fondée sur le clientélisme même si quelques succès ont été enregistrés au niveau de la gouvernance de l’image de paix du Président Bongo.
Récemment, la crise financière n’a pas épargné le pays bien que la décroissance économique ait commencé dès 2008. La croissance du PIB est en chute libre, passant de 5,6 % en 2007 à 2 % en 2008. Les estimations pour 2009 oscillent autour de 0,7 %(iii) avec une reprise possible autour de 2011.
Malgré les 41 années de pouvoir, de nombreuses infrastructures permettant d’amélioration les conditions de vie des Gabonais n’ont pas été mises en œuvre et les inégalités n’ont fait que s’agrandir. Aussi, les pressions tant de la société civile que des nombreux responsables gabonais, y compris ceux du sérail politique, le fameux “Bongoland”, semblent conduire dans le futur le Gabon à s’orienter, en priorité, vers une politique de protectionnisme et de financement du développement du Gabon aux dépens du financement d’un système de clientélisme à des fins de pérennisation au pouvoir.
En référence aux autres pays francophones, la loyauté vis-à-vis de la Françafrique ne paye pas en termes de développement d’un pays et d’amélioration du niveau de vie de la grande majorité des populations africaines. Néanmoins, cette loyauté a permis d’assurer des longévités politiques impensables ailleurs, surtout dans le système anglophone. Même dans le cadre d’une démocratie conviviale, l’absence d’alternance politique, ne peut suffire pour soutenir une croissance économique durable et partagée sans un sentiment d’être redevable ici ou là à un système qui s’est montré très généreux pour toutes personnes, tous Etats, toutes entreprises, toutes institutions bilatérales, régionales et internationales, qui ont su se plier aux règles internes du respect de la hiérarchie, du droit d’aînesse à l’Africaine et de la distribution de la manne pétrolière contre une forme de dépendance conviviale.
Avec un refus constant de mettre officiellement un dauphin en place, le feu Président Bongo Ondimba, surpris par la maladie, n’a en fait préparé que très tardivement l’après-pétrole et l’après-Bongo. Au plan de la gestion économique et stratégique, il est trop tôt pour savoir si la continuité va l’emporter sur le changement. Toutefois, il faudra un savant dosage entre le pouvoir mystique de Paul Tougui, le pouvoir financier dans les mains de Pascaline Bongo et la défense et la sécurité dans les mains d’Ali Bongo pour que l’avenir du Gabon se fasse dans la paix et que les Gabonais puissent en toute liberté exprimer leur choix.
Le nombre officiel de pauvres, vivant avec moins de 2 $ par jour, reste préoccupant avec 20 % de la population(iv). L’absence d’amélioration de l’environnement sanitaire en rapport avec les ressources budgétaires disponibles a conduit à une réduction de l’espérance de vie : de 61 ans en 1990 à 57 ans en 2007 alors qu’en Malaisie, on est passé pour la même période de 70 à 74 ans et de 72 à 75 ans pour l’Argentine.
Le Gabon de demain sera contraint de faire des économies sur le financement d’un système de “ralliements, de clientélisme et de dépendances croisées” tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Cela devrait introduire de la compétition dans le système de la Françafrique sans pour autant y mettre fin. Avec des dépenses du Gouvernement en forte hausse, de 20,5 % en 2008 à 25,1 % en 2009 sans y inclure les frais relatifs à l’organisation des élections, des revenus en baisse du fait des fluctuations des prix du pétrole et le coût des importations des produits alimentaires en hausse, les revenus du Gouvernement sans les dons devraient chuter, passant en 2008 de 31,8 % à 25,7 % du PIB en 2009(v), ce que reflète aussi la baisse du solde commercial passant de 49,6 % en 2008 à 32 % en 2009, le niveau le plus bas depuis 1997(vi). Pourtant les réserves du pays se sont améliorées progressivement passant de 0,7 % entre 1997-2002 à 6 % en 2009 avec une gestion maîtrisée de l’inflation et de la monnaie.
Il est donc question d’abord de rééquilibrer l’économie gabonaise qui exportait en 2007 pour 87,6 % d’hydrocarbures et minerais contre 4 % de produits manufacturiers et 8,3 % de produits agricoles. Plus de 77,3 % de produits manufacturés, 17 % de produits agricoles et 5 % d’hydrocarbures sont importés. Le Gabon importe près de 66,9 % de l’Union européenne alors que celle-ci n’exporte que 12,1 % vers cette région. Alors qu’il exporte son pétrole en priorité vers les Etats-Unis avec 58,4 % des exportations, il n’importe que 7,3 % de ce pays.
Paradoxalement, les exportations du Gabon vers les pays voisins sont insignifiantes alors que 3,5 % du total de ses importations totales proviennent du Cameroun(vii). L’intégration régionale est restée lettre morte au plan économique, même si au plan politique et dans les opérations de paix, le feu Président Bongo s’est montré très actif à la fin de sa carrière. Bref, le Gabon en 41 ans a organisé une gouvernance du maintien au pouvoir qui a réussi mais a été basée sur une répartition patrimoniale des fruits de la croissance et un oubli fâcheux du développement des infrastructures et de l’industrialisation, fondement de la création d’emplois productifs décents.
Ce défi est un impératif du futur que ses futurs dirigeants doivent relever s’ils souhaitent que le Gabon conserve son pouvoir d’influence économique et politique. YEA.
(i) A. Maddison, The World Economy: Historical Statistics, OECD, Paris, 2001 ; Il s’agit ici de dollar ($) international ajusté selon Geary-Khamis de 1990, ce qui permet des comparaisons historiques sur périodes longues. Par approximation, on peut se permettre une comparaison avec le RIB.
(ii) WB, WDI 2009, p. 14.
(iii) IMF, REO: SubSaharan Africa, April 2009, p.66.
(iv) WB, op. cit., pp. 67-68.
(v) IMF, op. cit. p. 75.
(vi) Ibid, p. 82.
(vii) WTO, Trades Profiles 2008, p. 65.