Directeur du Groupe de réflexion, d’action et d’influence “Afrology”
Avec la banqueroute d’un Etat riche comme l’Islande, la crise financière démultipliée par la déréglementation et la valorisation d’un système libéral privilégiant la spéculation, une autre crise financière ne doit pas être exclue. Elles pourraient être liées en Afrique à une difficile reprise du développement industriel du fait de la contraction des flux de capitaux privés, la réduction des transferts d’argent de la Diaspora, le nivellement de l’aide au développement, la contraction de la demande pour les matières premières africaines, la limitation de la marge de manœuvre pour les budgets des Etats africains et l’amplification de la corruption.
Le risque de défaillance structurelle des pays de l’Est peut déstabiliser les riches pays de l’Ouest qui y ont massivement investis. Une dévaluation impromptue du dollar américain couplée avec une défaillance des Etats-Unis pour honorer les bons de trésor détenus massivement par les pays émergents pourraient fractionner l’épargne accumulée par certains pays émergents comme la Chine et limiter leur marge de manœuvre budgétaire. Ces signes avant-coureurs d’une nouvelle bulle financière devraient pondérer les prédictions de sortie de crise en 2010 annoncée avec pompe par le Fond monétaire international.
Avec une croissance économique mondiale en chute libre qui est passée de 5,2 % en 2007, à 3,2 % en 2008 et -1,3 % en 2009 avec 1,9 % en 2010, la récession mondiale se confirme et il fallait absolument renforcer le rôle de payeur en dernier ressort du FMI. L’Afrique, malgré les inégalités grandissantes, s’en sort malgré tout relativement bien avec une croissance économique contractée, passant de 6,2 % en 2007, à 5,2 % en 2008 et 2,0 % en 2009 avec 3,9 % en 2010. Les chiffres sur la reprise sont donc à considérer avec prudence en attendant des ajustements en fin d’année du FMI.
Le G20, en adoptant un plan de redressement de l’économie mondiale de 1 100 milliards de $US, a choisi de tripler les capacités financières du Fonds monétaire international (FMI) de 250 à 750 milliards $US. La vente d’or demandée par les représentants africains ne rapportera que 6 milliards de $US, ceci d’ici trois ans. Mais la nouveauté est que le FMI a été autorisé, en cas de besoin, d’emprunter sur les marchés. Tous les dirigeants africains, avec leur langage abusivement diplomatique, affirment que le FMI a changé. C’est vrai que l’accès à de nouvelles facilités d’emprunt a été assoupli. La ligne de crédit flexible introduit en octobre 2008 ne porte que sur 100 milliards de $US et permet d’emprunter pour trois mois sans conditionnalités. Seuls les pays comme le Mexique ou la Pologne, ayant une bonne gouvernance, pourront en profiter même si entre 1995 et 2004, la moyenne du nombre de conditionnalités était de 17 et devrait théoriquement être réduite autour de 4, mais “à la tête du client”.
En réalité, le G20 n’a pas retenu la proposition de Trésor Manuel, l’ex-ministre des finances de l’Afrique du Sud (devenu ministre de la planification sous le Président sud-africain Jacob Zuma), qui avait demandé plus d’équité et de transparence dans les décisions. Aujourd’hui avec 16,77 % des voix au conseil d’administration du FMI, les Etats-Unis ont un droit de véto que les pays émergents leur disputent. L’Afrique doit donc insister pour faire tomber le quorum de 85 % pour prendre les décisions importantes à 70 % afin que les 15 % soient répartis entre les pays émergents et les africains qui soutiennent la croissance mondiale. Afin de mieux anticiper les crises systémiques futures, la proposition de voir les ministres des finances et les gouverneurs de banques centrales du monde se rencontrer régulièrement pour faire des recommandations au FMI n’a pas été retenue. Le G20 a préféré faire confiance aux bureaucrates du FMI, et donc refuse de démocratiser l’institution.
Le journal Financial Times a révélé que les méthodologies de calcul des statistiques du FMI peuvent conduire à des approximations, voir des erreurs notamment sur l’endettement de certains pays d’Europe de l’est. Entre le début d’octobre 2008 et avril 2009, le FMI a révisé par quatre fois ses prévisions sur l’économie mondiale et africaine. Même la France exprime de sérieuses « réserves » sur la méthodologie appliquée du FMI.
En refusant de s’endetter inutilement, l’Afrique ne doit plus hésiter à mettre en doute :
- le choix des agrégats économiques puisque le FMI oublie systématiquement de fournir les informations sur la dette intérieure par exemple ;
- le mode d’établissement des statistiques, et surtout
- les interprétations comme celle consistant à suggérer la dévaluation des monnaies africaines dont le FCFA.
Au plan économique, rien ne justifiait la recommandation du FMI sur la dévaluation du FCFA avec en 2009 une croissance de 3,4 % du PIB réel pour l’UEMOA et une croissance de 1,7 % du PIB réel pour la CEMAC, les deux poids lourds de la zone franc. En comparaison, la France affiche une croissance négative de -0,4 % et le Royaume Uni -3,8 % en 2009. En référence à la mauvaise gouvernance des Etats-Unis et de l’Europe de l’ouest, une dévaluation simultanée du dollar des Etats-Unis, de l’Euro et de la Livre Sterling pourrait paradoxalement permettre une sortie de crise plus rapide. L’Afrique gagnerait à suggérer une étude approfondie sur cette proposition, en insistant que les pays qui se retrouveraient avec un excédent budgétaire du fait de cette dévaluation institutionnalisée acceptent de le transférer dans un fond souverain de solidarité pour soutenir des actions collectives et globales portant sur les biens publics globaux et la réduction de la pauvreté.
Cette proposition soutenue par les Présidents en exercice de l’Union africaine, et par chacune des communautés économiques régionales pourrait trouver des échos favorables auprès de la commission des Nations-Unies, présidée par Joseph Stiglitz, censée proposer des solutions de sortie de crise au sommet de l’ONU prévu entre le 1 et 3 juin 2009.
Le G20 a proposé l’injection de 250 milliards de $US sous forme de Droits tirages spéciaux (DTS, la monnaie de compte du FMI et équivalent à des avoirs de réserves mondiales) pour augmenter les liquidités dans l’économie mondiale. Comme les DTS sont répartis entre les 186 Etats-membres du FMI en fonction de leur poids économique dit “quote-part”, ce sont les riches pays du G7 qui tirent la part du lion, soit 44 % du total. Seulement 1/3 ira aux pays en développement et seulement 7,6 %, soit 19 milliards de $US, seront affectés aux pays pauvres, essentiellement africains. Les changements tant attendus sur la modification des conditions d’octroi des prêts et les inégalités criardes dans la répartition des “quotes-parts” n’ont donc pas changé. Ce n’est qu’à cette condition que l’Afrique peut pardonner au FMI. Cette institution ne peut changer son image sans changer ses pratiques inégalitaires d’interventionnisme par le biais de conditionnalités imposées aux pays africains.
C’est une question d’équité, de justice, de vérité économique et surtout de solidarité effective au service des populations pauvres. Une telle décision serait à l’honneur des pays riches et ouvrirait la voie à de nouvelles formes de partenariat “gagnant-gagnant” où chaque pays serait traité d’égal à égal. YEA.
IMF, WEO, April 2009, Washington D.C., p. 189.
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Ricardo Valenzuela, “IMF. Mission impossible”, 10 avril 2009, visité le 3 mai 2009 sur <http://intermexfreemarket.blogspot.com/2009/04/mission-possible.html>
RFI, “Les faux calculs du FMI”, in RFI, 11 mai 2009, visité 11 mai 2009 sur <http://www.rfi.fr/actufr/articles/113/article_80940.asp>
Yves Ekoué Amaïzo, “[intlink id=”898″ type=”post”]Sortir de la crise en dévaluant : choisir le FCFA, le Dollar américain ou l’Euro?[/intlink]”, in Afrology online visité le 10 mai 2009 sur < http://www.afrology.com/>
FMI, Perspectives économiques régionales. Afrique subsaharienne, avril 2009,Washington D.C., 2009, p. 71.
IMF, WEO, April 2009, op.cit., p. 191.
Third World network, “The IMF financial crisis loans : No change in conditionalities”, in TWN, Genève, 11 mars 2009.