Dr. Yves Ekoué Amaïzo
Directeur du Think Tank “Afrology”
Groupe de réflexion, d’action et d’influence
L’Afrique n’est pas à vendre (1)! Du moins c’est ce que l’on croyait.
Pour des motifs nobles comme permettre des transferts de technologie, augmenter la productivité agricole ou réaliser des infrastructures, de nombreux responsables africains ont opté pour des contrats de long terme d’exploitation des richesses africaines. Il s’agit d’arrangements concessionnels mieux connus sous le vocable de Partenariat Public Privé, les fameux PPP qui s’apparentent de plus en plus à des Partenariat Pour des Privés essentiellement étrangers.
S’il est vrai que les possibilités de développement, de création d’emplois, de transfert de technologie passent par de nouvelles formes de partenariats avec les entreprises transnationales ou des investisseurs-spéculateurs, il ne faut pas non plus que ces partenariats se fassent sur le dos des populations locales. Malheureusement, il est surtout question de location-bail des terres africaines pour réaliser des projets agricoles qui se métamorphosent en projets miniers. Ce point particulier doit être rediscuté dans les nouveaux accords de partenariat entre l’Afrique et le reste du monde.
Lorsque ces contrats de 99 ans renouvelables sont obtenus dans des conditions de transparence proches de celles qui existent au cours d’une nuit sans lune, il est légitime de se demander à qui profitent ces nouvelles formes de dépossession de l’espace africain.
A Madagascar, les pourparlers entre la société sud-coréenne Daewoo Logistics et le Gouvernement malgache portent sur la location de près de 1,3 million d’hectares du pays pour 99 ans. Il s’agit de produire du maïs, du palmier à huile et des produits vivriers pour le marché sud-coréen contre des travaux d’infrastructures et des avantages fiscaux. Les études de faisabilité sont en cours.
Au sud du Soudan, l’arrangement concessionnel tripartite portant sur la concession sur 99 ans de terrains fertiles de près 400 000 hectares (soit la taille de Dubaï) s’est fait d’une part entre 1/ un grand propriétaire terrien, ex-commandant de l’armée autonome de la région du sud-Soudan devenu un commandant en chef adjoint de cette même région suite à l’accord de paix de 2005, 2/ un investisseur américain Mr Heilberg, ex-banquier américain de Wall Street et PDG de la société Jarch Capital basée dans les îles Vierge et 3/ le Gouvernement du sud-Soudan. L’investisseur n’a aucune expertise dans le développement de l’agriculture. Le Gouvernement du sud Soudan met déjà en cause les droits d’exploitation du sous-sol riche en pétrole sur cet espace, signe de problèmes inextricables que risquent de rencontrer les Etats africains engageant l’avenir de l’Afrique dans des contrats bien peu clairs sans prendre la mesure des considérations géopolitiques et de puissances défavorables.
Entre la Rhodésie de 1895, parties Nord et Sud, devenues respectivement le Zimbabwe et la Zambie, le Britannique Cécil Rhodes, un des fondateurs de la compagnie diamantifère De Beers, avait obtenu en “concession” des droits d’extraction de minerais du roi Lobengula de Ndebele. Ce sont ces droits qui ont poussé à l’époque les frontières de l’empire britannique au-delà du fleuve Limpopo.
En filigrane, c’est de cette crise d’appropriation asymétrique et inégale des terres dont souffre indirectement le Zimbabwe d’aujourd’hui, soit plus de100 ans après(2). Cette dynamique de la mise en location des parcelles de l’Afrique peut, si elle est signée par des Etats défaillants dont les responsables sont irresponsables, conduire à enlever aux Africains ce qu’ils croient même posséder. Si l’on n’y prend garde, ce “viol de l’imaginaire” d’Aminata Traoré(3) pourrait ressembler à un vol des propriétés collectives des Africains d’ici à l’an 2109. Attirer aujourd’hui des investisseurs éthiques serait alors peut-être la solution. Une révision des codes d’investissement s’impose pour éviter que les investisseurs ne trouvent là matière à s’approprier, à peu de frais, l’espace africain sous le prétexte d’assurer leur indépendance alimentaire aux dépens des populations africaines(4). Voici assurément un dossier continental dont l’Union africaine ferait bien de se charger…
YEA.
(1)Yves Ekoué Amaïzo (sous la direction de), [intlink id=”241″ type=”post”]L’ Union africaine freine-t-elle l’ unité des Africains[/intlink] ? Retrouver la confiance entre les dirigeants et le peuple-citoyen, avec une préface de Aminata Traoré, collection ‘interdépendance africaine”, éditions Menaibuc, Paris, 2005, 390 pages ; voir introduction “L’Afrique n’est pas à vendre”, p. 33 à 55.
(2)Javier Blas et William Wallis, ‘US investor sees profit in Sudan”, in Financial Times, 10 Janvier 2009, p. 1 et 5.
(3)Aminata Traoré, Le viol de l’imaginaire, éditions Fayard, Paris, 2002
(4)“Madagascar dément avoir loué 1 million d’hectares de terres à Daewo“, in Les Afriques, voir http://www.commodafrica.com/fr/actualites/matieres_premieres/mada?archivepage=4