Le co-développement est défini comme le contraire du mal-développement.
Il est proposé de promouvoir le co-développement dans un cadre décentralisé avec des institutions de contreparties structurées tant en Europe que dans le pays d’accueil pour créer un environnement institutionnel et législatif incitatif pour permettre l’aboutissement heureux d’une initiative concertée de co-développement.
C’est toute la refondation du rapport entre la Diaspora organisée, les pouvoirs publics et le secteur privé adhérant à une nouvelle éthique où profit et social seront amenés à cohabiter qui est proposée. Cette initiative négociée repose sur la création d’un concept et d’une approche nouvelle et dénommée “Visa Diaspora” dans cet article. Le visa est alors décliné non plus comme un frein mais une invitation à une forme nouvelle de diversité proactive et constructive. Il est question d’introduire dans le cadre d’une politique de rupture, de nouvelles approches de l’économie agglomérée afin de valoriser et tirer parti des opportunités offertes dans le cadre d’une politique civilisationnelle. Celle-ci ouvre les perspectives de nouveaux rapports de type “eurafrique”.
Il est proposé de démarrer cette initiative négociée au niveau des espaces décentralisés et entre des entreprises du nord et du sud sur une base contractuelle. L’initiative doit être acceptée conjointement pour pouvoir être qualifiée d’initiative concertée de co-développement.
1. Introduction : Vers une proposition civilisationnelle eurafricaine
La singularisation des Diasporas économiques ne signifie nullement que les autres composantes de la Diaspora ne seront pas prises en compte. Il est question surtout d’identifier des forces motrices qui permettront d’organiser une force d’entraînement pour assurer une création de richesse tant au nord qu’au sud. En filigrane, c’est la “socialisation” des rapports entre les peuples européens et africains que certains appelleraient la “convivialité” des relations qu’il est question de changer. Une forme nouvelle de la diplomatie de la “réconciliation” est en marche. Le cadre sera le co-développement, un moyen de freiner la logique infernale vers la défaillance de l’Etat et du marché. Pour ce faire, il importe de discriminer de manière positive les acteurs, les moyens d’actions, l’espace géographique, les institutions d’appui et de recenser le tout dans un document “sauf-conduit” appelé ici Visa Diaspora. Ne faut-il pas créer tout simplement au plan juridique une nouvelle forme d’entrepreneuriat comme “l’entreprise jumelée” ? Au-delà, ne serait-ce pas les premiers pas opérationnels de construction d’une économie de l’interdépendance qui est en train de prendre forme ?
Le co-développement ne peut se limiter à organiser le “comment faire travailler le pauvre” sans approfondir les formes nouvelles de coopération et de compétition qui permettraient d’organiser la société à tous les niveaux (individu, société, ville, Etat, région, continent). Il est question de retrouver l’estime de soi et des peuples ainsi que le sentiment de dignité et d’indépendance que procure la création d’une croissance partagée construite à partir d’initiatives concertées associant les Diasporas économiques. Il s’agit à n’en pas douter d’une véritable proposition civilisationnelle eurafricaine de grande envergure.
2. Diasporas économiques : migration économique institutionnalisée et coopération contractualisée et décentralisée
Les stratégies de retour d’une diaspora “non sollicitée” comme d’une diaspora “intégrée” sont en panne. Par médias interposés, certaines de ces stratégies de retour se bornent à faire croire aux citoyens-électeurs qu’il s’agit là d’une solution clairvoyante permettant de s’attaquer aux causes profondes de la migration sud-nord. C’est principalement le blocage ou l’usurpation d’un système de création et de redistribution de la création de valeur ajoutée en proximité qui fonde les migrations sud-nord.
Même s’il y a quelques progrès ces dernières années, l’identification imparfaite et segmentée de la Diaspora africaine en Europe, et en France en particulier, pose le problème de représentativité des acteurs face aux pouvoirs publics. Cette représentativité disparate peut trouver un début de solution dans le secteur économique et productif par un recensement doublé d’un appui sous forme d’incitations. Il est proposé de créer une nouvelle forme de “sauf-conduit” spécifique à cette catégorie de la Diaspora, dite “les diasporas économiques”, qui souhaite, individuellement ou collectivement, contribuer activement à une initiative concertée de co-développement dans le cadre d’une coopération contractualisée et décentralisée.
Le processus de décentralisation reste encore à l’état embryonnaire dans les pays du sud. Il reste pourtant l’approche la mieux adaptée au développement de “l’économie de proximité[1]” avec une priorité pour le développement de la productivité et des emplois dans les zones rurales. La notion d’espaces décentralisés ou de zones d’initiatives de co-développement (ZIC) doit être redéfinie en fonction des initiatives concertées impliquant les Diasporas économiques. Ces ZIC doivent d’abord être fondées sur un transfert de savoir-faire et de connaissance et soutenir un processus d’apprentissage. C’est ce critère de base qui pourra donner une chance à la pérennité des actions. L’importance des institutions d’appui suppose donc que les acteurs physiques et moraux acceptent le principe de signer des chartes inter-régionales, inter-communales, inter-villes, inter-entreprises, etc. C’est dans cet espace “balisé” que devront s’inscrire les initiatives négociées et les projets de co-développement.
L’initiative concertée de co-développement reposera alors sur une approche par la contractualisation. “Les différents groupes d’acteurs négocient pour définir les priorités pour une période donnée, mobilisent les moyens nécessaires pour atteindre les objectifs, et peuvent ainsi juger de l’efficacité des actions menées et ajuster d’une période de contractualisation à l’autre leurs priorités. Il s’agit d’une contractualisation «interne” à un espace donné, entre les différents groupes d’acteurs, et “externe” c’est-à-dire entre l’ensemble des acteurs et les pouvoirs publics[2]”. C’est tout le défit de la gouvernance de la décentralisation et de la contractualisation qui est soulevé avec les acteurs émergents que sont les diasporas économiques. Le co-développement se doit d’être initié à partir d’une volonté de valoriser et d’améliorer la productivité des ressources locales avec des acteurs locaux (au nord comme au sud) et ceux de la Diaspora.
C’est donc une promotion de la diversité, du réseautage et de l’articulation intelligente entre l’urbain et le rural qui se profile en filigrane. Le rôle des institutions d’appui devient crucial. Celles-ci doivent, de par leur rôle d’information et de régulation des espaces institutionnalisés de négociation, faciliter la formulation et la mise en oeuvre d’initiatives négociées de co-développement regroupant des projets de préférence fondés sur une agglomération des compétences.
La contractualisation permet de maîtriser rapidement la complexité d’une telle architecture de promotion du co-développement. Bien sûr, il existe la tentation de céder aux actions urgentes ou de court terme alors que le co-développement doit s’inscrire dans des horizons temporels longs refondant l’importance des apprentissages et des échanges d’expériences. La démarche de structuration institutionnelle ne doit en aucun cas faire défaut car il s’agit bien en fait d’organiser la maîtrise d’un processus de type systémique où les Diasporas économiques devront servir de catalyseur d’une dynamique de migration économique institutionnalisée.
3. Le co-développement, c’est faire obstacle au paradigme de la faillibilité
C’est toute la refondation du rapport entre la Diaspora organisée, les pouvoirs publics et le secteur privé adhérant à une nouvelle éthique où profit et social cohabiteront qui est proposée. Il est question de faire obstacle au paradigme de la faillibilité[3] et d’éviter ainsi la course vers le bas. Il s’agit de refuser la faillibilité d’un espace productif, qui si elle a lieu peut entraîner une région vers un cycle non maîtrisé de la défaillance économique de l’Etat et du marché. Cette défaillance se résume à l’incapacité des acteurs économiques dans un espace géographique circonscrit à servir en priorité dans le temps, en quantité et en qualité l’économie de proximité. Le poids de cette Diaspora dans l’économie est devenu prépondérant. En effet, les montants des envois de fonds de la Diaspora dans le monde sont passés de 68,5 milliards de $US en 1990 à 276 milliards de $ US en 2006, dont près de 206 milliards sont allés vers les pays en développement[4].
Le débat du jour s’inscrit dans un cadre plus large du co-développement qui ne peut plus se définir comme :
- un “développer ensemble” qui fait fi des rapports de force, de puissance et d’influence ;
- une succession d’évènements à suivre par lesquels d’autres sont déjà passés créant ainsi une rupture avec l’approche mécanique d’un co-développement instrumentalisé, généralement du haut vers le bas ;
- un consensus de la “communauté internationale” sur des bonnes pratiques encollées dans des environnements réfractaires, non préparés qui ne tardent d’ailleurs pas à manifester violemment ou discrètement un rejet ou un contournement de la greffe culturelle et civilisationnelle ; ou
- une bonne conscience paternaliste fondatrice de gouvernance patrimoniale dans les pays non-riches dont la culture de la “ventrologie[5]” n’est qu’un des effets collatéraux générateurs d’un mal-développement.
Le mal-développement dans les pays à revenu faible et intermédiaire se définit ici comme l’impossible articulation de la gestion des ressources non-renouvelables, humaines et physiques au service de l’humanité de proximité. Alors le co-développement, le contraire du mal-développement, doit se décliner dans un cadre décentralisé avec des institutions de contreparties structurées pour parler et négocier d’égal à égal dans un souci de respect mutuel. La marchandisation de ce rapport humain d’abord, économique ensuite ne doit pas faire oublier la dimension d’organisation de relations conviviales et cordiales entre des peuples différents. Il ne s’agit plus uniquement de relations de personnes, mais de relations entre peuples aspirant à l’organisation d’une paix, d’une sécurité et d’une prospérité auto-entretenues et durables.
Ne pas s’intéresser au co-développement comme une co-existence pacifique de civilisations humaines évoluant en toute diversité, vers un destin commun, c’est faire l’éloge indirecte des “chocs de civilisations[6]” alors qu’il s’agit justement d’organiser une structure commune fondée sur la valorisation des richesses humaines tant sur le plan de l’efficacité des institutions, de la capacité à produire et à commercialiser en réseau de manière équitable, et de l’action civique et sociale. Pour se faire les préalables existentiels doivent faire l’objet de priorité notamment les transferts des surplus vers la constitution d’infrastructures assurant des filets sociaux tels les services de santé, la liberté, les communications ou l’énergie.
4. Discrimination positive et Visa Diaspora
Les rapports entre la Diaspora et les autorités publiques tant du pays d’accueil que des pays d’origine sont entachés de nombreux non-dits, obstacles majeurs à la constitution d’un environnement prévisible et incitatif pour attirer de manière pérenne et volontaire toutes les strates socio-économiques de la Diaspora. Un tel environnement qui est réclamé par les investisseurs potentiels doit faire l’objet d’une déclinaison particulière pour la Diaspora. Oui, il faut une période de discrimination positive pour la Diaspora africaine installée en Europe pour garantir le succès des politiques d’immigration occidentales sur le long terme.
C’est tout le concept du Visa Diaspora qu’il s’agit d’introduire dans le cadre d’une politique de rupture si l’on souhaite valoriser et tirer parti des opportunités offertes par certaines politiques civilisationnelles. Plusieurs des politiques européennes portant sur l’immigration voient dans le concept de visa un système de frein. Pourtant, le principe fondateur du “Visa Diaspora” est bien plus positif : il s’agit d’organiser un consentement mutuel, une approbation, un encouragement, une incitation, un engagement et une ratification sur une base contractuelle sur un dossier de co-développement. Cela peut se décliner à tous les niveaux entre des individus, des entreprises, des villes, des Etats, des régions voire des continents. Toute la dimension du “glocal”, c’est-à-dire l’intégration du global et du local prend son importance. Toute la dimension de la “coo-pétition”, c’est-à-dire le mariage intelligent entre la coopération et la compétition, fonde des horizons nouveaux pour un co-développement qui devient alors un vrai synonyme de refus du mal-développement. Il faut s’attendre alors à une collusion positive entre l’intensification tant du volet virtuel (via-Internet) que du volet pragmatique de la participation pro-active de la Diaspora dans la perspective d’une progression nouvelle dans les rapports “eurafrique”.
La délivrance du Visa Diaspora pourra se faire dans le cadre d’initiatives concertées et participatives (mieux que l’approche programme ou projet) d’appui au co-développement entre partenaires identifiés. Le financement pourra provenir des structures publiques décentralisées, des entreprises adeptes de la responsabilité sociale de l’entreprise et d’un Etat incitateur. Les pouvoirs publics centraux ou décentralisés pourront user de la minorisation des taxes sur les profits effectués sur les marchés spéculatifs pour ceux qui, volontairement, accepteraient de réinvestir cette somme dans les financements des mesures d’accompagnement du Visa Diaspora. Une autre source de recette repose sur la contribution volontaire des sociétés qui ont choisi de se conformer à l’éthique et à la responsabilité sociale de l’entreprise en ponctionnant entre 0.5% et 2% de leur profit pour soutenir leur propre initiative concertée de co-développement comme celles d’autres partenaires au développement. Comme la mondialisation suppose un renforcement des pôles de compétitivité, les nouvelles alliances et concurrences risquent de s’organiser sur la base de regroupements fondés sur une confiance retrouvée, un respect mutuel et des contrats d’initiatives concertées de co-développement avec une priorité donnée aux projets promouvant la création de la richesse dans la proximité.
Il va de soi que si les parlementaires pouvaient accepter de soumettre une proposition de loi spéciale pour uniformiser les modalités de financement des “initiatives concertées de co-développement” en modulant entre 25% et 100%, selon les priorités, les réductions fiscales sur les bénéfices des sociétés qui auront réinvesti dans les “initiatives concertées de co-développement”, alors la valorisation des minorités visibles et plus particulièrement celles de la Diaspora pourra se transformer en un formidable “ensemble, tout est de nouveau possible”.
Les diasporas économiques ont souvent été traitées sous cinq angles réducteurs, à savoir :
1. l’exode des cerveaux et les gains dans les pays d’origine en oubliant les altérations négatives occasionnées et contribuant au mal-développement ;
2. l’envoi de fonds par la diaspora et le réalisme politique qui a permis d’affirmer que la Diaspora n’est “ni une vache à lait, ni une solution miracle” au problème de développement économique[7] ;
3. l’afflux volontaire ou sous la pression sociale de migrants vers les zones considérées comme des espaces de création de richesse, de liberté et d’organisation objective de l’accès aux opportunités en général, à l’emploi en particulier ;
4. la sortie volontaire ou sous la pression des lois d’immigration vers les pays d’origine ; et
5. l’incompréhensible persistance de la préférence à l’embauche pour le français de souche métropolitaine par rapport à celui qui vient d’ailleurs.
Entre 1990-95 et 2000-05, le nombre de migrants venant des pays à revenu faible ou intermédiaire (PRIF) vers les pays à revenu élevé (PRE) est passé de 12.92 millions à 15,97 millions d’individus, ceci aux dépens des PRIF. Les conséquences sur la formation d’une classe moyenne dynamique dans les pays dits “pauvres”, sur la création d’un plancher minimum pour l’assiette fiscale et le manque à gagner en innovation et opportunités (pour ne prendre que ces cas) sont telles que l’investissement sur un continent où se trouve la majorité des pays pauvres n’est plus une option mais une nécessité. S’investir en Afrique avec les diasporas économiques ne peut plus se décliner dans le cadre du co-développement comme des activités situées à la marge ou à la périphérie, mais bien au centre des préoccupations de toute politique de refondation d’une politique de co-développement.
Non seulement, il est en fait question d’une révision des comportements, des attitudes, des clichés misérabilistes, mais il importe de rétablir un système permettant une auto-génération des rapports de confiance. Cela devrait permettre de faire émerger une nouvelle société de confiance entre le riche et le pauvre, entre le nord et le sud, entre la France et l’Afrique, entre l’entrepreneur et le salarié, entre l’investisseur et sa foi en sa propre responsabilité sociale dans les pays dits “en développement” mais qui ont tous la caractéristique d’être des pays non-industrialisés. L’absence de soutien aux programmes d’industrialisation dans les accords de partenariat économiques ou dans les négociations sur le développement de Doha ne sont que quelques symptômes d’une certaine logique de la coopération-marchandise.
De manière plus concrète, il est question de s’assurer au niveau des entreprises comme des institutions que toute initiative concertée de co-développement comporte un volet sur la création de la valeur ajoutée dans le secteur industriel. Les transferts de savoir-faire et de connaissance devront permettre d’assurer qu’une augmentation effective du contenu technologique et de l’efficacité dans l’organisation aient lieu et que la connaissance se diffuse. C’est la formation de la capacité d’absorption institutionnelle dont ont besoin les Etats ou les départements et territoires d’outre-mer dont sont originaires les migrants pour accélérer leur développement en harmonie avec la structuration et la segmentation mondiale du système productif et commercial.
L’instauration d’un Visa Diaspora permettra de consolider la rupture avec le paradigme “utilitariste” des transferts financiers opérés par les travailleurs migrants ou expatriés vers des investissements de moyen et long terme, compléments indispensables à l’effort nécessaire de renforcement de la formation du capital fixe et d’une croissance économique partagée. En effet, il faut savoir que les envois de fonds de la Diaspora sont passés dans les PRFI entre 1990-95 et 2000-05 de 31,1 millions de $ US à 192,9 million de $ US, soit 6 fois plus. En comparaison et pour la même période, les envois de la Diaspora occidentale (expatriés) sont passés de 37,4 million de $ US à 69,5 million de $ US, soit 2 fois plus. En 2005, les envois de fonds de la Diaspora française vers la France s’élevait à 12,7 milliards de $US en 2005 alors que l’ensemble des pays d’Afrique subsaharienne totalisaient 8,7 milliards de $US[8].
La vraie différence réside dans le fait que dans la plupart des pays à revenu faible ou dans les zones de pauvreté des pays à revenu intermédiaires, ceci plus particulièrement les pays où les risques sécuritaires et environnementaux et les conflits sont importants, l’épargne de la Diaspora, que constituent les envois de fonds, sert essentiellement à réduire la pauvreté et devient rapidement systémique dans le pays d’origine. Dans les pays à revenu élevé, les envois de migrants servent à l’augmentation de l’épargne et à l’amélioration du bien-être et se retrouvent dans des formes avancées et modernes d’investissement de longue durée. Le co-développement aura des chances de réussir plus rapidement si les initiatives négociées et promues s’attèlent à corriger ces anomalies en renforçant les capacités d’absorption institutionnelles dans les pays faiblement industrialisés. Il va de soi que cela va poser le problème épineux de l’interdépendance économique, sociale et culturelle de toute société à savoir : la souveraineté des Etats. En réalité, il s’agira peut-être de s’accorder sur un nouveau concept : une franchise économique pour les espaces d’intervention de la Diaspora dans le cadre du co-développement où les règles seront déterminées dans un cadre contractuel et ceci pour une période limitée.
5. Incitation à la création de richesse partagée : l’entreprise jumelée
Les envois de la Diaspora ont atteint 167 milliards de $ US en 2005 alors que l’aide publique au développement plafonnait autour de 105 milliards de $ US[9]. Le développement uniquement à partir des APD n’est plus possible, à fortiori le co-développement à partir de l’APD. Il faut donc canaliser les envois de fonds comme les apports financiers du secteur privé notamment les investissements étrangers en commençant par les sociétés qui adhèrent à une charte de l’éthique et de la responsabilité sociale de l’entreprise.
L’initiative Visa Diaspora doit reposer sur la création d’unités et d’entreprises productives et commerciales en réseaux avec une contrepartie des pays du nord. C’est à cette condition que les synergies entre les partenaires du Visa Diaspora ayant signé un “contrat d’entreprendre” pourront repenser la création de richesse dans le cadre de la diversité et en dehors du concept devenu étroit “d’Etat souverainiste”. Il s’agit de refonder le dialogue avec le pays d’origine en créant une structure d’accueil permanente de la Diaspora dans le pays de résidence des migrants sédentarisés, si possible au niveau des structures spécialisées dans l’entrepreneuriat et dirigée par un représentant du secteur privé élu sur une base rotative “homme-femme”. Cette structure ne viendra pas s’opposer aux structures existantes locales mais constituera une entité spécialisée pour la coopération décentralisée avec la Diaspora. Des préalables comme la double-nationalité, la francophonie élargie et un cadre laïc de tolérance devraient permettre de démarrer l’instauration d’un climat de confiance avec l’intégration progressive des espaces culturels complémentaires. Des avantages spéciaux sur les transferts des biens intermédiaires pour la production pourraient être promulgués en guise d’incitation supplémentaire et une information, voire une formation de certains douaniers en Afrique, peu scrupuleux du respect des accords et des traités, pourrait être envisagée pour éviter des coûts de transaction trop importants.
Une structure équivalente devrait être constituée au niveau de chaque région décentralisée du pays riche, en France par exemple, et devra être structurée sur une base de transparence de la gouvernance. Les plaintes actuelles se concentrent sur les coûts exorbitants que constituent les transferts d’argent. Des propositions concrètes seront faites pour faire baisser le coût des transferts financiers. Dans un premier temps, il devrait être possible pour le patronat français et africain d’évaluer les avantages et inconvénients qu’il y a d’obtenir un accord politique entre la France et les pays de la zone franc sur les transferts financiers utilisant le système de transfert électronique “IBAN”[10], opération qui permet des virements financiers “gratuits” dans l’espace de l’Union européenne[11]. En Afrique, cela ne peut se faire sans l’aval des dirigeants politiques et économiques africains. Il faut donc trouver des relais et des réseaux de soutien et des institutions efficaces et dédiées à la cause de la création de richesse et de l’emploi pour permettre le succès d’une telle initiative. Il va de soi qu’en contrepartie, les structures de la Diaspora en charge d’initiatives concertées de co-développement en France et en Europe ne pourront pas continuer à travailler en isolation sans stratégie globale, sectorielle et géographique.
Ce sont ces stratégies d’ensemble et à long terme qui pourront permettre de présenter l’initiative concertée de co-développement avec la Diaspora lors des reprises des pourparlers sur les accords de partenariat économique entre l’Union européenne et l’Afrique ou même entre cette Diaspora et d’autres “accords préférentiels” accordés aux pays à revenu faible ou intermédiaire. Ainsi, les conditions seront réunies pour que la Diaspora économique ne serve plus uniquement de “variables d’ajustement” pour les pays d’accueil mais se fonde dans une perspective de l’espérance où les jeunes auront comme vision positive la construction d’un ensemble civilisationnel basé sur l’interdépendance. Il ne s’agit pas d’une vision utopique mais bien d’une alternative pouvant permettre à terme de trouver une solution au gaspillage inacceptable de ressources humaines[12] tout en contribuant à associer des peuples différents à une entreprise commune de création de richesses partagées. Il faut donc dépasser le droit territorial pour un droit plus universel. A quand le statut d’une entreprise jumelée validée uniquement dans le cadre d’une initiative négociée de co-développement ?
6. Co-développement : vers une économie de l’interdépendance
Il s’agira alors peut-être d’une contribution majeure au dialogue international sur les migrations[13] qui pourra ouvrir la voie à une conférence mondiale organisée en France avec les patronats éthiques sur un dialogue permanent entre les gouvernants (centraux et décentralisés), les dirigeants d’entreprise et la Diaspora économique. Les concepts obsolètes de la division internationale du travail ont contribué à neutraliser certains pays dans la fonction de fourniture de matières premières, et pour d’autres à utiliser à des fins d’innovation et de hiérarchisation civilisationnelle selon des termes de l’échange inégaux les richesses du sud au profit du nord. Les vraies et fausses économies du protectionnisme qui poussent à créer des économies palliatives génératrices de conflits à terme seront amenées à se transformer graduellement en des économies de l’interdépendance.
Dans la pratique, l’initiative concertée de co-développement se traduit pas la contractualisation d’activités communes à entreprendre par au moins quatre acteurs économiques du nord et du sud dont des représentants du monde de l’entreprise, des potentiels investisseurs, des représentants des institutions décentralisées et des représentants des institutions du gouvernement central. Le Visa Diaspora est alors délivré conjointement par les deux entités décentralisées sur la base du projet ou programme de co-développement.
7. Conclusion : Les Diasporas économiques : nouveaux acteurs de l’interdépendance
L’Afrique comme un réceptacle de la bonne conscience occidentale ou le spectacle du misérabilisme, la source de presque tous les malheurs du monde, le continent où sévit le plus de mal-gouvernance doit s’intégrer graduellement dans le paysage économique du co-développement. L’initiative concertée de co-développement entre l’Union européenne et l’Afrique, entre la France et la zone franc, entre les régions décentralisées françaises et les espaces décentralisés africains sont en fait partie intégrante d’une politique de rupture. Il est question de dépasser les frontières existantes et de tenter de jumeler autant que faire se peut des entreprises pour réaliser conjointement et partager ensemble les fruits de la croissance économique et de l’harmonie sociale ainsi créée.
Bien sûr, sans une refondation profonde la représentation de ces espaces et des acteurs y compris les diasporas économiques, la coopération décentralisée risque de rencontrer des obstacles insurmontables. Parmi lesquels la perpétuation de l’Etat-nation virtuel, les découpages électoraux arbitraires d’où découle la représentation usurpée… Il devient urgent de redéfinir ensemble entre le nord et le sud entrepreneurial des nouveaux rapports de hiérarchisation des intérêts communs et des biens communs. Les ententes cordiales sur les intérêts bien compris ne peuvent plus se faire aux dépens de la création de pôles de compétitivité conjoints.
Le co-développement doit devenir le synonyme d’un processus permettant d’augmenter le rôle productif des populations en jouant sur l’effet d’entraînement des Diasporas économiques et des structures d’appui du nord comme du sud. Le but sera atteint si les Etats classés dans la catégorie des pays les moins avancés ou à revenu faible peuvent en l’espace de quelques années changer de catégorie et passer dans celle des pays à revenu intermédiaire. La croissance économique nécessaire est tributaire de la multiplication des “entreprises jumelées” et de l’environnement propice à la création de structures productives organisées en réseaux. Le co-développement, pôle de “coopétition”, conjonction de la coopération et de la compétition aura contribué à atténuer la hiérarchisation des cultures et des civilisations, rendant ainsi de nouveau facile la coopération entre les peuples et leurs diasporas économiques, nouveaux acteurs éclairés de l’interdépendance.
Yves Ekoué Amaïzo
Jeudi 7 février
Notes :
1 Yves Ekoué Amaïzo, De la dépendance à l’interdépendance. Mondialisation et marginalisation : une chance pour l’Afrique, éditions l’Harmattan, Paris, 1998.
2 Tahani Abdelhakim, “Nouveaux paradigmes et grandes questions d’avenir pour le développement rural en Méditerranée”, in Options Méditerranéennes, Sér. A / n°71, 2006, pp. 193-199 ; voir : http://doc.abhatoo.net.ma/doc/IMG/pdf/nouveaux_paradigmes_gds_question_devpt_rural_med.pdf
3 Yves Ekoué Amaïzo, “Failed, failing, fragile economies: interdependency, wealth creation and structural changes?”, article en cours, à paraître.
4 World Bank, Global Economic Prospects 2006, voir http://www.worldbank.org/
5 Yves Ekoué Amaïzo, De la dépendance à l’interdépendance…, op. cit.
6 Samuel Huntington, Le choc des civilisations, éditions Odile Jacob, Paris, 2000.
7 Nations Unies, “Rôle de la diaspora dans le développement économique? Ni vache à lait ni solution miracle”, ONU, Assemblée générale, AG/EF/3147, voir http://www.un.org/News/fr-press/docs/2006/AGEF3147.doc.htm
8 World Bank, World development indicators 2007, pp. 360-362.
9 Ainalem Tebeje, “L’exode des cerveaux et le renforcement des capacités en Afrique”, Publication en ligne du Centre de recherche pour le Développement international (CRDI), 22 février 2005, voir http://www.idrc.ca/fr/ev-71249-201-1-DO_TOPIC.html
10 IBAN est l’acronyme de International Bank Account Number. La norme spécifie les éléments du numéro de compte bancaire du bénéficiaire de paiements. Obligatoire depuis le 1er janvier 2007, il est possible, en remplaçant le relevé d’identité bancaire RIB par l’IBAN d’économiser de manière substantielle sur les frais bancaires. L’IBAN et le BIC (Bank Identifier Code) identifient de manière standardisée les numéros de compte en Europe. Il s’agit d’une présentation normalisée pour faciliter les échanges transfrontières. Pourquoi est-ce que cela ne s’effectue pas dans la zone franc alors que les banques centrales de l’Afrique de l’ouest et du centre sont indirectement rattachées à la banque centrale européenne par le principe du compte d’opération du trésor français.
11 Yves Ekoué Amaïzo, “Mise en place d’une banque centrale électronique africaine” in Jacques Bonjawo, (collectif sous la direction de), Intellectuels africains face à la Mondialisation, Comos Publishing, Etats-Unis, juin 2007.
12 Erik Reinert, How Rich Countries got Rich… and why Poor Countries stay Poor, Carroll & Graf Publishing, London, September 2007.
13 International Organisation for Migration, “International Dialogue on Migration”, voir http://www.iom.int/jahia/Jahia/pid/385