En préparation au Sommet de juillet 2007 de l’Union africaine à Accra, Ghana, les tractations pour la création d’un Gouvernement fédéral africain vont bon train. Comme à son habitude sur ce sujet, le premier responsable de la Libye, Mouammar Gaddafi se retrouve à être celui qui finalement réussi le tour de forces de réunir régulièrement une partie de la société civile et des politiciens africains autour de ce thème dans son pays. Ainsi, l’évolution de l’unité africaine et du panafricanisme se construisent aussi en partie sur le sol africain.
1. Libye : un espace de l’unité africaine et du panafricanisme ?
Mais les vrais enjeux sont ailleurs même s’il faut le reconnaître, une grande partie de la population libyenne a l’impression que leur premier responsable fait plus pour l’Afrique que pour la Libye. Les populations africaines ont par contre l’impression que ce sont certains chefs d’Etat qui en profitent. Il y a donc un véritable quiproquo, qui ne s’améliore pas avec le manque de transparence informationnelle.
Malgré cela, Mouammar Gaddafi a réussi le tour de force, contre vents et marées parfois, à réveiller la fibre de l’unité africaine. Il a choisi de le faire par une approche du bas vers le haut qui associe les peuples africains au débat, parfois dans une certaine improvisation et absence de coordination, qui ne permet pas toujours d’influencer les décisions finales des chefs d’Etat africains. Il y a aussi comme une certaine confusion entre la propagande personnelle et le passage en force des concepts et des idées. En effet, selon le sujet, les divergences sont très grandes entre les chefs d’Etat, certains se plaignant de voir leur souveraineté absorbée par ceux qui disposent de moyens financiers considérables.
C’est donc dans ce cadre mêlant secret, autocensure, propagande discrète et conciliabule entre chefs d’Etat sur la mise en place d’un Gouvernement Fédéral Africain que l’on peut se demander quelle influence pourrait avoir la Diaspora africaine, la 6e région d’Afrique. Cette dernière, insuffisamment structurée, divisée entre des groupes principalement basés aux Etats-Unis et d’autres en Europe ont du mal à se professionnaliser pour offrir une contribution pratique afin d’influencer les discussions des chefs d’Etat africains. Les dirigeants africains, dans leur grande majorité, en profitent et ne sont souvent intéressés par ces Africains de l’extérieur que lorsqu’ils ou elles contribuent financièrement au développement de l’Afrique par des transferts effectifs d’argent, leur épargne, vers les Sud. On évite « soigneusement » qu’ils ou elles s’intéressent de trop près aux causes de la pauvreté, de la mauvaise gouvernance, de la corruption, de l’absence de croissance économique, des arbitrages préjudiciables sur l’environnement et surtout d’une redistribution qui se limite à ceux ou celles qui font partie du cercle rapproché de ceux qui dirigent. Avoir comme perspective que la Diaspora, la 6e région, puisse réclamer ses droits à gouverner la cité est un sujet tabou sauf si les chefs d’Etat décident d’opter pour le partenariat intelligent comme le témoigne le remaniement gouvernemental de juin au Bénin où de nombreux experts et technocrates de la Diaspora ont été invités à soutenir le développement et la démocratie exemplaire de ce pays.
2. Un Gouvernement Fédéral Africain : des discussions âpres
Près de 25 pays africains sur les 53 ont déjà acceptés officiellement ou officieusement le principe du Gouvernement Fédéral Africain. On les retrouve principalement dans la structure sous-régionale du CEN-SAD, créée à l’initiative de la Libye. D’autres pays africains très influents sont carrément contre et proposent des solutions où le fédéralisme semble passer aux oubliettes au point où le statu quo semble reprendre ses droits. Entre les deux positions extrêmes, il y a de tout… ceux qui viennent simplement pour aller dans le sens de la majorité africaine et ceux qui attendent des instructions des capitales occidentales, encore très « postcolonialement » influentes. Ainsi, le consensus sera difficile à obtenir, à mettre en œuvre et surtout à respecter dès que les discussions de leadership et de sélection des possibles personnalités vont s’ouvrir. Certains pensent déjà que ce sera l’espace de « retraite » d’anciens chefs d’Etat qui ne veulent pas prendre leur retraite bien méritée.
Il est donc clair que la bataille va se gagner sur des concepts qui intègrent et sur des argumentations qui ouvrent le champ au consensus, voire à des périodes de transition : le concept et les approches de l’interdépendance africaine s’y prêtent bien et pourraient conduire à trouver le consensus tant recherché pour unir l’Afrique. Avec les responsabilités et les erreurs d’arbitrage et de gouvernance partagées entre les responsables du Nord et ceux d’Afrique, il ne faut pas sous-estimer la capacité de neutralisation, voire d’avortement de l’unité politique de l’Afrique dont certaines puissances extérieures sont capables.
En réalité, la création d’un gouvernement fédéral africain (GFA) relève de la volonté politique et à ce titre, l’intégration politique doit se faire avant l’intégration économique. La valeur ajoutée du GFA réside justement dans la volonté commune d’imprimer un mouvement dynamisant avec des effets de contagion positive sur l’économique, le social et le culturel. Ainsi, au lieu que l’Afrique demeure un spectateur et subisse la mondialisation économique, la force de l’union contribuera à faire de l’Afrique un acteur incontournable sur l’échiquier mondial.
3. Unifier le système décisionnel africain au plan continental
En filigrane, c’est d’une révolution dont il s’agit. Pour la première fois depuis 1963, les chefs d’Etat africains devront poser le problème d’unifier le rôle de la Conférence des Chefs d’Etat et celui de la Commission de l’Union africaine. Le premier ne sera plus un décideur en dernier ressort sans responsabilité directe alors que le second ne serait qu’un secrétariat ou un porte-parole. Cela bloque le fonctionnement des institutions et empêche l’Afrique de parler d’une seule et même voix tant sur les problèmes de déficit démocratique en Afrique que sur la participation de l’Afrique dans le Conseil de Sécurité des Nations Unies, pour ne prendre que ces quelques cas.
En créant le Gouvernement fédéral africain, les chefs d’Etats devront nécessairement régler ce bicéphalisme décisionnel tout en offrant les secteurs précis de transfert de compétence vers les institutions sous-régionales ou continentales. Si l’on doit aller vers un président de l’Afrique, il faut s’assurer que la vice-présidence revienne à une personne de sexe opposé et respecter la parité homme et femme dans les postes. Si la Diaspora est réellement considérée comme la 6e région de l’Afrique, alors au moins 1/6e des postes du Gouvernement fédéral africain devront être réservés à la Diaspora. Ces règles devront graduellement être observées au niveau du parlement africain, des institutions financières et économiques africaines et même au niveau de la représentation de la société civile et de la Diaspora.
4. La Diaspora africaine unanime : mais besoin de garanties
Une grande partie de la Diaspora africaine en Europe et aux Etats-Unis souscrit pleinement à la position de ceux des dirigeants africains qui estiment qu’il ne faut plus attendre plusieurs années avant d’aller vers un gouvernement fédéral africain. Néanmoins, il est de notoriété publique que certains responsables africains jouent dans la cour de la postcolonie et que cela retarde singulièrement l’unité africaine. Il importe donc d’opter pour le paradigme de l’interdépendance africaine comme une étape nécessaire pour permettre d’atteindre la création des Etats-Unis d’Afrique. L’interdépendance africaine devra reposer sur une Charte de l’Interdépendance africaine qui mettra en valeur quelques secteurs productifs et sociaux fondamentaux, reconnus comme des vecteurs accélérateur de développement de diffusion du bien-être pour le peuple Africain.
En effet, la globalisation du système de production et de commercialisation des biens et des services est fondée sur la segmentation et la fragmentation des tâches et des activités. Pour se faire une part sur le marché global et local, l’Afrique doit se professionnaliser, devenir performante en revoyant son système de formation, d’information et de communication et de redistribution du pouvoir d’achat. Cela suppose que l’Afrique assure son indépendance énergétique en optant pour des technologies non polluantes et non destructives de l’environnement. La priorité et des incitations fiscales devront être données aux énergies propres telles que les centrales hydro-électriques, le solaire, les éoliennes, la biomasse, etc. avec un système de redistribution qui n’oublie par les zones rurales ou difficiles d’accès.
La réduction des coûts de transaction tant dans le domaine des infrastructures routières, de communication que de l’environnement des affaires au profit du développement de l’entreprenariat africain, notamment pour les femmes et les jeunes, doit devenir militant. En effet, le peuple africain doit redécouvrir l’importance de consommer local et de mettre des normes sur les produits comme l’igname ou le manioc au lieu de préférer importer des poulets congelés hautement subventionnés de l’Union européenne qui tue son agriculture et vide ses campagnes des poulets « bicyclettes ».
Enfin, si les responsables politiques signent des accords sur la pêche alors que des bâteaux-usines venant des pays du Nord peuvent pêcher même proche des côtes africaines, alors il ne faut pas s’étonner que les pêcheurs africains prennent les mêmes bateaux pour aller chercher dans les pays du Nord un bonheur hypothétique. Les chefs d’Etat doivent combattent l’immigration choisie qui est un concept agressif et sélectif et opter pour la migration négociée, laquelle prône l’interdépendance et la paix. Voici une position qui ne devrait pas en principe poser de problème pour emporter un consensus entre les chefs d’Etat. Bien sûr, les migrations en Afrique ne doivent pas être oubliées et les pays doivent accepter qu’après une période variant entre 5-10 ans, un citoyen africain qui réside dans un autre pays africain doit pouvoir acquérir la nationalité du pays d’accueil. Mais le fond du problème reste la création d’emplois décents et de croissance économique partagée.
En attendant, les migrants africains constituant en partie cette fameuse Diaspora, sont ceux qui envoient plus d’argent en Afrique en comparaison aux donateurs occidentaux traditionnels qui utilisent l’aide au développement plus comme un alibi que pour contribuer à un véritable mieux-être collectif des Africains et des Africaines. C’est cela qui fait que de plus en plus, l’Afrique apprécie l’aide chinoise, moins hypocrite malgré les lacunes sur le plan du respect des droits humains et de l’environnement.
L’argument selon lequel les migrants des pays pauvres en Afrique vont envahir les pays à revenu élevé ne peut se décliner sans poser le problème du développement des capacités productives dans les zones rurales, la formation et le désengorgement de ces espaces par des routes et des ponts. Bref, la migration doit être analysée en conjonction avec le développement local, régional et continental sans oublier que les investissements dans les infrastructures de base (accès à l’eau, aux médicaments, au crédit…) ne doivent pas s’arrêter. Ce sont de véritables accélérateurs de la croissance économique, de la redistribution et de l’intégration africaine.
5. Gouvernement continental : convaincre par les arguments
On ne peut passer sous silence le fait que l’association de pays pauvres entre eux ne peut par enchantement donner comme résultats des pays riches. Pourtant, ce ne sont pas les richesses qui manquent sur le continent. C’est un manque de solidarité effectif qui apparaît au grand jour pour certains Etats. Pourquoi est-ce que c’est seulement la Libye qui organise régulièrement des réunions pour faire avancer l’unité africaine ? Il existe pourtant bien d’autres pays disposant d’une manne pétrolière…
Les 650 millions de $US annuels (soit 130 millions par sous-régions) proposés dans le plan stratégique du Président de la Commission de l’Union africaine n’ont pas été honorés par les chefs d’Etat africains eux-mêmes. Comment peut-on dans ces conditions faire avancer l’Afrique. Ce n’est pas avec 50 millions de $US en moyenne de fonctionnement que la Commission de l’UA ou le futur gouvernement fédéral africain pourra avoir la marge de manœuvre nécessaire pour faire progresser la cause de l’unité africaine au plan opérationnel. Pourquoi lorsque le pétrole est passé de 35 $US le baril à près de 65 $US le baril, une partie de la différence n’a pas été proposée par les chefs d’Etat pour soutenir le projet des Etats-Unis d’Afrique ? Ne pourrait-on pas suggérer qu’un pourcentage automatique soit versé pour la construction des Etats-Unis d’Afrique chaque fois que les augmentations de matière première africaine sur le marché mondial profitent à l’Afrique ? La proposition récente de créer une taxe additionnelle sur les billets d’avion pour financer les activités de l’Union africaine ou du gouvernement continental n’est pas économiquement tenable alors qu’il est possible de trouver une formule adaptée pour que les gains réalisés « sans trop d’efforts » sur la vente des matières premières africaines par les Etats puissent en partie servir au développement de l’unité du continent. Sur ce dernier sujet, tous les chefs d’Etat sans exclusive sont devenus subitement muets, frappés par la maladie de l’autocensure.
Pourquoi la création de la banque centrale africaine, le fonds monétaire africain, la monnaie commune et la banque d’investissement africain, un système central de télécommunication satellitaire et sans fil, une diplomatie commune pour réduire les coûts (ambassades communes), un système de police et de défense commun n’arrivent toujours pas à voir le jour ? Justement parce que la décision politique de créer le Gouvernement fédéral africain et d’entrer dans une phase d’interdépendance africaine n’a pas été décidée par les Chefs d’Etat africains. Il faut espérer que le Sommet des chefs d’Etat africain qui se réunira à Accra, Ghana prochainement ne soit pas un rendez-vous manqué. En fait, il serait plus sage d’adopter une position de principe à Accra et de consacrer quelques mois à une discussion sérieuse avec des experts africains, avec la société civile pour sortir un consensus qui correspond à la culture africaine. Avec la diversité de ce continent, il y a fort à parier que si le paradigme de l’interdépendance africaine est laissé aux oubliettes par les chefs d’Etat, les décisions de façade sur la création d’un gouvernement fédéral africain uniquement avec une partie de l’Afrique ne résistera pas au temps.
6. L’Afrique est-elle incapable de s’unir ?
Non, l’Afrique n’est pas incapable de s’unir ! Non, l’Afrique n’est pas à vendre ! Non, l’Afrique ne peut servir de variable d’ajustement pour les économies riches, ceci aux dépens des populations faibles et sans défense ! Sans gouvernement fédéral africain, cette situation déplorable au 21e siècle risque de perdurer. J’en appelle à chacun de vous lorsque vous retournerez chez vous de tout faire pour influencer les instances décisionnelles de vos pays respectifs pour que le Gouvernement fédéral africain puisse voir le jour et servir les intérêts des Africains et des Africaines.
Afin de contribuer positivement au débat afin de l’influencer, les Africains doivent cesser d’être des défaitistes et négativistes sur l’avenir de l’Afrique. Il est étonnant de constater le nombre de fois que les conseillers des dirigeants africains peuvent prononcer le mot magique : « cela ne marchera pas »… Mais lorsqu’on leur demande de faire une proposition concrète, alors le silence et l’autocensure reprennent leurs droits. Oui, les arguments avancés peuvent faire l’objet d’un vrai débat et les solutions existent. Mais bloquer le processus vers l’interdépendance africaine et l’unité des nations africaines avec des phrases à l’emporte-pièce, pose un problème de fond : certains responsables africains, sont-ils conscients de leur responsabilité et des conséquences de leurs propos sur la jeunesse africaine, les femmes et les populations marginalisées ?
7. Plaidoyer pour un Gouvernement de l’Union africaine avec la Diaspora
Voici 8 points qui devraient contribuer à faire avancer le débat tout en respectant la diversité culturelle et religieuse de l’Afrique :
1. Non, le gouvernement fédéral africain ne va pas additionner la misère des pauvres, mais va réveiller les consciences et les intelligences productives au service de la communauté africaine ;
2. Rien n’empêche d’organiser un referendum électronique et un vote électronique pour choisir ce gouvernement fédéral africain, adopter la Charte de l’interdépendance africaine et la feuille de route tenant compte des besoins des populations et des repères communs ;
3. Il faut retrouver les repères communs en offrant une nouvelle approche du développement économique basée sur la croissance économique partagée et reposant sur une forme de redistribution du pouvoir d’achat ;
4. Les délégations de pouvoir devront se faire à partir de secteurs économiques et doivent être circonscrites dans des espaces qui cherchent à converger vers les meilleures pratiques ; les pays dits « éléphants (et souvent conservateurs)» ne devront pas empêcher les pays dits « gazelles (et souvent progressistes) » d’apprendre à sauter ;
5. La définition des compétences entre le local, le national, le régional et le continental devra se faire par consensus suivi d’un vote populaire ;
6. La promotion de la démocratie participative et directe est nécessaire pour éviter que les politiciens s’éloignent ou oublient de servir le peuple qui les a mis en place.
7. Une meilleure intégration de la Diaspora, notamment les femmes de la Diaspora dans les postes décisionnels tout en veillant à respecter les différences de générations, devient un préalable.
8. Enfin, pourquoi est-ce que le Président du premier gouvernement fédéral africain ne serait pas une femme ou une personnalité émanant de la société civile africaine comprenant la Diaspora ? Les résultats passés des politiciens africains militent en faveur de cette nouvelle alternative.
Notes :
1. Yves Ekoué Amaïzo (sous la direction), L’union africaine freine-t-elle l’unité des Africains ? Retrouver la confiance entre les dirigeants et le peuple-citoyen, avec une préface de Aminata Traoré, collection « Interdépendance africaine », éditions Menaibuc, Paris, 2005, 25 Euros.
2. Yves Ekoué Amaïzo (sous la direction), L’Afrique est-elle incapable de s’unir ? Lever l’intangibilité des frontières et opter pour un passeport commun, collection « interdépendance africaine », L’Harmattan, Paris, 2002, 664 pages, 52 Euros.